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CHAPITRE V.

et de véritables aiguilles de glace, le vent faisait voler autour de nous des plaques de glace de 30 centimètres de diamètre qu’il avait enlevées en passant au glacier inférieur. Cependant aucun de nous ne semblait vouloir lâcher pied le premier, quand une rafale plus violente que les précédentes nous força de nous abriter pendant quelque temps derrière un rocher. À dater de ce moment, il fut tacitement convenu que notre expédition n’irait pas plus loin, mais nous résolûmes en même temps de laisser aux touristes futurs quelque souvenir de notre visite, et, après être descendus à une distance considérable, nous trouvâmes une place convenable, avec des pierres détachées, pour y construire un cairn. En une demi-heure, nous érigeâmes une pyramide haute de 2 mètres. Une bouteille, contenant la date de notre tentative, fut placée à l’intérieur, et nous battîmes en retraite le plus promptement possible[1] ». Ce cairn avait été élevé au point marqué 3298 mètres sur la carte de la Suisse par le général Dufour, et il n’était guère que de 60 à 80 mètres au-dessous de l’altitude qu’avait atteinte M. Kennedy.

Peu de temps après, le professeur Tyndall expliqua, dans son petit livre intitulé Mountaineering en 1861, pourquoi il avait quitté le Breuil au mois d’août 1861 sans rien tenter. Il avait, à ce qu’il paraît, envoyé Bennen reconnaître le terrain, et à son retour son guide lui avait fait le rapport suivant : « Monsieur, j’ai examiné la montagne avec soin et je l’ai trouvée plus difficile et plus dangereuse que je ne l’avais pensé. Il n’y a aucune place où nous puissions passer convenablement la nuit. Peut-être pourrions-nous camper sur ce col couvert de neige, mais nous y serions presque complétement gelés et, en tout cas, tout à fait incapables de tenter l’ascension le lendemain. Les rochers ne nous offrent aucune saillie ni aucune crevasse qui puisse nous donner un abri suffisant ; et en partant du Breuil il est certainement impossible d’atteindre le même jour le sommet de la montagne. » Je fus tout à fait désappointé par ce rapport, dit Tyndall… J’éprouvai l’émotion d’un homme

  1. Alpine Journal 1863, p. 82.