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ESCALADES DANS LES ALPES.

qui lâche prise et qui se sent tomber dans le vide… Évidemment Bennen était bien décide à ne pas tenter l’ascension. « Nous pourrions, dans tous les cas, atteindre le moins élevé des deux sommets, » lui observai-je. — « Cela même est difficile, me répondit-il ; et, quand vous l’auriez atteint, qu’en résulterait-il ? Ce pic n’a ni nom, ni réputation[1]. »

Ce rapport de Bennen me surprit plus qu’il ne me découragea. Je savais par ma propre expérience que la moitié de ses assertions étaient inexactes. Le col auquel il faisait allusion était le col du Lion, sur lequel nous avions passé une nuit moins d’une semaine après son affirmation si absolue, et de plus, j’avais vu un endroit situé à peu de distance au-dessous de la « Cheminée » et à 150 mètres au-dessus du col, où il paraissait possible de construire un abri pour y bivouaquer. Les idées de Bennen semblaient avoir subi un changement complet. En 1860, il s’était montré plein d’enthousiasme pour une tentative d’ascension, mais, en 1861, il s’y était complétement opposé. Mon ami, M. Reginald Macdonald, notre compagnon dans notre expédition au Pelvoux, à qui nous avions dû une si grande partie de notre succès, ne se laissa pas décourager par ces variations d’opinion ; il résolut de tenter avec moi un nouvel assaut du côté du sud. N’ayant pu nous assurer le concours de Melchior Anderegg et de quelques autres guides renommés, nous engageâmes deux hommes déjà connus, Jean Zum Taugwald et Jean Kronig, de Zermatt. Nous nous réunîmes à Zermatt au commencement de juillet, mais le temps était si orageux qu’il nous empêcha de passer de l’autre côté de la chaîne. Nous franchîmes toutefois le col Saint-Théodule le 5, dans de mauvaises conditions. Il pleuvait dans les vallées et il neigeait sur les montagnes. Peu d’instants avant d’atteindre le sommet,

  1. Mountaineering in 1861, p. 86-7. Tyndall et Bennen se trompaient en supposant que la montagne a deux sommets ; elle n’en a qu’un. Ils furent sans doute induits en erreur par l’aspect qu’offre la partie de l’arête sud-ouest qu’on appelle l’Épaule, quand on la découvre du Breuil. Vue de cet endroit, en raccourci, son extrémité méridionale ressemble certainement à un pic ; mais l’erreur est facile à reconnaître si on la regarde du col Saint-Théodule ou de tout autre point dans la même direction.