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CHAPITRE I.

rocher abrupt. Ce rocher le divise en deux parties qui se rejoignent au-dessous. J’avais escaladé la partie inférieure du glacier jusqu’au pied du rocher central, où je m’étais arrêté pour admirer le contraste des brillantes aiguilles de glace avec l’azur du ciel. Une énorme tranche du glacier se détacha brusquement, et, passant par-dessus le rocher, alla retomber avec le bruit du tonnerre sur la partie inférieure. Plusieurs fragments me dépassèrent, heureusement sans m’atteindre. Rebroussant chemin en toute hâte, je ne m’arrêtai qu’au delà du glacier ; mais, avant d’en sortir ; je reçus une nouvelle leçon : la moraine terminale, qui me semblait une masse solide, s’écroula sous mes pieds en me montrant que sa superficie trompeuse reposait sur une pente de glace, unie et glissante comme du verre.

Dans le sentier escarpé de la Gemmi j’observai à diverses reprises les mœurs et coutumes des mulets suisses. Peut-être n’est-ce point pour se venger d’une longue suite de mauvais traitements que les mulets frottent constamment les jambes des touristes contre les murs de pierre et les clôtures de bois qui bordent les chemins, et feignent de broncher dans les passages difficiles, surtout quand ils arrivent à un tournant ou sur le bord d’un précipice. Leur déplorable habitude de marcher sur la limite extrême des sentiers (même dans les endroits les moins sûrs) est assurément le résultat de leurs relations avec l’homme. Ces mulets sont, en effet, occupés pendant une grande partie de l’année à descendre dans les vallées le bois des montagnes voisines ; les fagots dépassant leurs bâts de chaque côté à une certaine distance, ils marchent instinctivement sur le bord extérieur des sentiers afin d’éviter