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ESCALADES DANS LES ALPES.

tour à Londres ; et, une semaine après la déconfiture de Tyndall, je me trouvais couché, à la fin d’une journée brûlante, dans une de ces abominations qui servent de lits à l’auberge tenue par M. le maire de Ville Vallouise ; je me tournais et me retournais très-agité en regardant, à moitié endormi, une lueur étrange et rougeâtre qui se projetait sur le plafond. C’était, pensais-je, quelque effet d’électricité produit par l’irritation que me causaient des myriades de puces. Tout à coup la grande cloche de l’église voisine de l’auberge sonna à toute volée. Je sautai à bas de mon lit, car les voix et les allées et venues des gens de la maison me firent à l’instant penser au feu. C’était bien le feu en effet. Je voyais de ma fenêtre, de l’autre côté de la rivière, de grandes langues de flammes s’élancer dans le ciel, des points noirs suivis de longues ombres courir au lieu où sévissait l’incendie, et les cimes des montagnes, éclairées par les reflets des flammes, se dresser comme des spectres. Toute la population de la Vallée était sur pied, car les habitants des villages voisins, réveillés par la cloche de Vallouise, sonnaient l’alarme. Je m’habillai à la hâte et je courus au pont. Trois grands chalets étaient en feu, entourés d’une foule de paysans qui apportaient des poêles, des casseroles, des marmites, tout ce qui pouvait contenir de l’eau. Ils formèrent plusieurs grandes chaînes à deux rangs, aboutissant au ruisseau le plus rapproché, se passant l’eau sur un rang et les ustensiles vides sur l’autre. Mon ancien ami le maire était là, dans toute sa majesté, frappant la terre de son bâton et vociférant : « Travaillez ! travaillez ! » mais les hommes se rangèrent avec beaucoup de présence d’esprit du côté des seaux vides, et laissèrent la chaîne pénible à leurs chères moitiés. Leurs efforts furent inutiles ; les chalets brûlèrent jusqu’au sol.

Le lendemain matin, je visitai ces ruines encore fumantes et je vis les pauvres familles sans abri assises en rangs lugubres devant leurs propriétés détruites. L’une des maisons avait été, disait-on, avantageusement assurée et son propriétaire avait tâché de toucher la prime. Il avait tout disposé pour faire de sa maison un feu de joie, et, après avoir allumé l’incendie dans