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CHAPITRE VI.

inquisitoriale. « Mais, qu’est-ce que c’est que cela ? » L’explication n’est qu’à moitié satisfaisante. « Mais ça, ça, qu’est-ce que c’est donc que cela ? » dit-il en s’emparant d’une petite boîte : « De la poudre. — Mais il est défendu de transporter de la poudre sur les chemins de fer de l’État. — Bah ! dit un de ses collègues plus âgé, laisse donc passer les effets de Monsieur. » Et notre compatriote, qui commençait à sentir le rouge lui monter aux joues sous les regards effarés et inquiets de ses compagnons de voyage, est autorisé à partir avec sa brosse à dents à moitié usée, tandis que le douanier déconfit proteste, par un haussement d’épaules caractéristique contre les habitudes excentriques des voyageurs « que leur situation d’insulaires laisse en dehors de la marche des idées continentales. »

Mes tourments sérieux commencèrent à Suse. Les douaniers italiens, plus honnêtes et plus bornés que les Français, refusèrent à la fois de se laisser gagner et de laisser passer mon bagage jusqu’à ce que je leur eusse fourni des explications satisfaisantes. Comme ils restaient incrédules à la démonstration de la vérité, je ne savais plus que dire, quand je fus enfin tiré d’embarras par un de ces braves gens plus intelligent que ses camarades. J’allais à Turin, leur dit-il, pour faire des tours de force dans les rues ; je montais au haut de l’échelle et je m’y balançais ; alors j’allumais ma pipe, je posais l’extrémité de mon bâton dans le godet, et je faisais manœuvrer le bâton autour de ma tête ; la corde devait servir à tenir les spectateurs à distance, et un Anglais qui m’accompagnait était mon directeur. « Monsieur est donc acrobate ? » me demandèrent les camarades de cet excellent homme. « Oui certes ! » répondis-je. « Laissez passer les effets de monsieur l’acrobate ? »

Ces malheureuses échelles me causèrent des ennuis sans fin. Je passe sous silence les hésitations des propriétaires de l’hôtel de l’Europe (Trombetta), qui ne crurent pas d’abord qu’il était très-prudent d’admettre dans leur respectable maison un étranger porteur d’un bagage si singulier, et j’arrive sans transition à Châtillon, à l’entrée du Val Tournanche. Je dus fréter un mulet pour transporter mes échelles, et, comme elles étaient trop