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ESCALADES DANS LES ALPES.

survenus dans les glaciers[1] lui firent préférer le col Saint-Théodule. M. Forbes n’indique pas l’autorité sur laquelle il s’appuye. Il se base, je le suppose, sur une tradition locale, mais je lui accorde toute confiance ; car, suivant toute probabilité, les pentes de neige escarpées dont j’ai parlé plus haut n’existaient pas avant que les glaciers se fussent retirés sur une si grande étendue ; à cette époque, les glaciers, conduisant vraisemblablement jusqu’au sommet par des pentes douces, rendaient les communications faciles entre les deux vallées. Si les glaciers continuent à diminuer aussi rapidement qu’ils diminuent actuellement[2], il ne serait pas impossible que le col Saint-Théodule lui-même, le plus facile et le plus fréquenté de tous les passages des hautes Alpes, devint assez difficile d’ici à quelques années ; et, dans ce cas, la prospérité de Zermatt en souffrirait probablement beaucoup[3].

Je me promenai encore avec Carrel dans l’après-midi, et nous

  1. C’est M. Adams-Reilly qui attira mon attention sur cette note.
  2. Le point culminant du col Saint-Théodule est à 3322 mètres au-dessus du niveau de la mer. On a évalué dernièrement à mille le nombre des touristes qui le traversent chaque année. Pendant l’hiver, quand la neige forme des ponts sur les crevasses qu’elle remplit partiellement, et quand le temps est favorable, les vaches et les moutons vont de Zermatt à Val Tournanche, et vice versa, par le col Saint-Théodule.

    Au milieu du mois d’août 1792, comme dans un précédent voyage fait à la même époque, de Saussure paraît avoir pris des mulets au Breuil pour monter par le glacier du Val Tournanche au col Saint-Théodule. Le glacier, dit-il (§ 2220), était complétement couvert de neige, et aucune crevasse n’y était visible. Dans mon opinion, des mulets n’auraient pas pu, durant les dix dernières années, être conduits au mois d’août sur le col Saint-Théodule, sans de très-grandes difficultés. À cette époque de l’année le glacier est généralement dépouillé de neige et bon nombre de crevasses sont ouvertes. Les piétons évitent facilement ces crevasses ; mais on aurait beaucoup de peine à les faire franchir à des mulets.

    Peu de jours avant que j’eusse passé le Breuiljoch, en 1863, M. F. Morshead découvrit un passage parallèle. Il traversa la chaîne sur le versant occidental du petit pic et s’ouvrit une route un peu plus difficile que la nôtre. En 1865 j’essayai de passer par le col qu’avait découvert M. Morshead, mais il me fut impossible de descendre à Zermatt, car, pendant les deux dernières années, le glacier s’était tellement retiré qu’il ne couvrait plus le point culminant du passage, et nous ne parvînmes pas à descendre les rochers qu’il avait laissés à découvert.

  3. Bien que son admirable situation soit célèbre depuis près de trente ans,