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CHAPITRE VI.

de suivre les rochers de préférence à la glace, me conseillait de monter par le long contre-fort de la tête de Bella Cia (qui descend vers l’ouest, et forme la limite méridionale du dernier glacier qui se déverse dans le glacier de Zardesan), puis, de là, de traverser, dans leur partie supérieure, tous les tributaires du Zardesan jusqu’à l’arête rocheuse et occidentale de la Dent d’Hérens. De mon côté, je proposais de suivre le glacier de Zardesan dans toute sa longueur, et de nous diriger du plateau d’où il descend (là, ma route croisait celle que proposait Carrel) en droite ligne vers le sommet, en remontant la pente du glacier couverte de neige, au lieu d’escalader l’arête occidentale. Le petit bossu Meynet, qui nous accompagnait dans ces excursions, se déclara en faveur de la route de Carrel, et cette route fut en conséquence adoptée.

La première partie du programme eut un succès complet ; le 6 août, à 10 h. 30 du matin, nous étions assis à califourchon sur l’arête occidentale, à une hauteur d’environ 3800 mètres, contemplant au-dessous de nous le glacier de Tiefenmatten. Suivant toute apparence, une heure seulement devait nous suffire pour atteindre le sommet ; mais, deux heures après, nous reconnûmes tous que nous devions forcément échouer dans notre tentative. Comme toutes les crêtes rocheuses des grands pics que j’ai escaladés, l’arête, complétement réduite en morceaux par la gelée, n’offrait plus qu’un amas de fragments superposés. Partout elle était étroite, et les points les plus étroits se trouvaient les moins solides et les plus difficiles. Nous ne pouvions monter ni d’un côté ni de l’autre en nous tenant un peu au-dessous de la crête même ; le versant du glacier de Tiefenmatten était trop escarpé, et sur les deux versants un seul bloc dérangé eût détruit l’équilibre de tous ceux qui le dominaient. Ainsi forcés de nous tenir constamment sur la crête même de l’arête, sans qu’il nous fût permis de dévier d’un seul pas soit à droite, soit à gauche, nous étions contraints de nous confier à des masses mal assises, qui tantôt tremblaient sous nos pieds, tantôt se tassaient après s’être heurtées avec un bruit sourd et sinistre, et qui toutes semblaient prêtes, au moindre ébranle-