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ESCALADES DANS LES ALPES.

ment, à se précipiter avec fracas au bas de la montagne, en formant une effroyable avalanche.

Je suivais mon guide, qui ne disait mot, et qui ne protesta pas jusqu’à ce que nous fussions arrivés à un endroit où un bloc de rochers posé en équilibre en travers de l’arête nous barra le passage. Carrel ne pouvait ni l’escalader sans aide, ni monter plus haut avant que je l’eusse gravi à mon tour. Quand il passa de mon dos sur cette masse chancelante, je la sentis trembler et se pencher sur moi. Elle n’eût pas pu évidemment supporter le poids d’un autre homme sans rouler dans l’abîme. Alors je refusai de continuer. Il n’y avait ni gloire à persévérer, ni déshonneur à ne pas franchir un passage trop difficile pour n’être pas dangereux. Nous retournâmes donc à Prarayen, car nous n’avions plus assez de temps pour pouvoir remonter par l’autre direction qui était, comme le démontra plus tard l’expérience, la seule par laquelle il fût possible d’escalader la Dent d’Hérens[1].

  1. J’ai constaté (p. 10 du livre) qu’il n’existait aucun passage entre Prarayen et le Breuil, en 1860, et c’était vrai alors. Le 8 juillet 1868, le plus entreprenant de mes guides, J. Antoine Carrel, partit du Breuil à deux heures du matin, avec un camarade bien connu, — J. Baptiste Bich, de Val Tournanche, — pour tâcher d’en découvrir un. Ils se dirigèrent vers le glacier qui descend de la Dent d’Hérens au sud-est. Arrivés à sa base, ils commencèrent à monter sur des pentes de neige situées entre le glacier et les rochers qui se dressent au sud, puis ils suivirent les rochers eux-mêmes. (Ils nommèrent ce glacier le glacier du Mont-Albert, d’après le nom local du pic qui est appelé « les Jumeaux » sur la carte de la Valpelline, par M. Reilly. Sur cette carte de M. Reilly, le glacier est appelé « Glacier d’Hérens. » ) Après avoir escaladé les rochers jusqu’à une hauteur considérable, ils traversèrent le glacier en remontant dans la direction du nord, jusqu’à un petit « rognon » (îlot de rochers isolé, qui occupe presque le centre du glacier). Ils passèrent entre le rognon et les grands séracs. Continuant à monter vers la Dent d’Hérens, ils arrivèrent à la base de son pic principal en escaladant un couloir rempli de neige et les rochers au pied desquels le glacier prend son origine. Ils atteignirent le sommet du passage à une heure de l’après-midi, et, redescendant par le glacier de Zardesan, ils arrivèrent à Prarayen à six heures trente minutes du soir.

    Comme la route qu’ils suivirent rejoint celle que prirent MM. Hall, Grove et Macdonald dans leur ascension de la Dent d’Hérens, en 1863, cette montagne peut évidemment être escaladée en partant du Breuil. Carrel assure que la route qu’il a prise avec son camarade Bich est susceptible d’améliorations ; s’il en est ainsi, on pourra probablement faire l’ascension de la Dent d’Hérens en partant du Breuil en moins de temps qu’en partant de Prarayen. Le Breuil est de beaucoup préférable comme point de départ.