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CHAPITRE VI.

Quatre jours plus tard, une expédition anglaise (dont faisaient partie mes amis, W. E. Hall, Craufurd, Grove et Reginald Macdonald) arriva dans la Valpelline. Ignorant notre tentative, elle fit le 12, sous l’habile direction de Melchior Anderegg, la première ascension de la Dent d’Hérens par la route que j’avais proposée. Cette montagne est la seule, parmi celles dont j’ai tenté l’ascension, que je n’aie pas réussi à escalader tôt ou tard. Notre insuccès était mortifiant, mais, dans ma conviction, nous avions eu raison de battre en retraite, et, si nous avions persisté dans notre tentative, en suivant la route de Carrel, les Alpes auraient gardé le souvenir d’un grave accident. Aucune autre ascension de la Dent d’Hérens n’a, que je sache, eu lieu jusqu’à ce jour.

Le 7 août, nous traversâmes le col du Va Cornère[1] ; et en descendant le Val de Chignana, nous jouîmes d’une très-belle vue sur la montagne nommée le Grand Tournalin. On apercevait cette montagne de tant de points différents, elle dépassait tellement tous les autres pics qui l’entourent, qu’elle devait nécessairement offrir un vaste et magnifique panorama. Je m’arrangeai donc avec Carrel pour l’escalader le lendemain (le temps continuait à n’être pas favorable à l’ascension du Cervin), et je l’envoyai tout droit au village de Val Tournanche y faire les préparatifs nécessaires, Pendant ce temps, je descendais au Breuil, avec Meynet, par le plus court chemin, en passant derrière le mont Panquero, c’est-à-dire par un petit passage connu dans le pays sous le nom de col de Fenêtre. Le même soir, je rejoignais Carrel à Val Tournanche, que nous quittâmes le 8, avant 5 heures du matin, pour aller attaquer le Tournalin.

Meynet fut laissé à Val Tournanche ce jour-là. Ce fut bien malgré lui que le pauvre petit bossu se sépara de nous ; il nous supplia avec instance de lui permettre de nous accompagner. « Ne me payez pas, mais laissez-moi aller avec vous, disait-il,

  1. V. p. 11. Suivant le chanoine Carrel, ce passage est à 3150 mètres d’altitude.