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ESCALADES DANS LES ALPES.

été exécutées, d’un commun accord, d’après nos inspirations mutuelles.

Notre programme fut réglé de manière à éviter de passer la nuit dans les auberges et à pouvoir découvrir, du point le plus élevé que nous pourrions atteindre en un jour, une grande partie de la route qu’il nous faudrait suivre le lendemain. Ce dernier point était très-important pour nous, car toutes nos excursions projetées étaient nouvelles, et devaient nous conduire dans des localités sur lesquelles les livres publiés jusqu’alors contenaient bien peu de renseignements.

Mes amis avaient très-heureusement engagé Christian Almer, de Grindelwald, comme guide. Réunir Croz et Almer était un vrai coup de maître. Tous deux étaient dans la force de l’âge[1], doués d’une force et d’une activité bien au-dessus de la moyenne ordinaire ; leur courage et leur expérience étaient également incontestables. Le caractère d’Almer était de ceux que rien ne saurait rebuter ; intrépide mais sûr, on le trouvait toujours plein de patience et d’obligeance. Ce qui lui manquait comme vivacité, comme élan, Croz qui, à son tour, était modéré par Almer, le possédait. Il est agréable de se rappeler avec quel touchant accord ils s’entendaient ensemble, et comment chacun d’eux venait à son tour nous confier qu’il se plaisait si bien avec l’autre, parce qu’il travaillait si bien ; mais il est triste, très-triste, pour ceux qui les ont connus, de savoir que jamais ils ne retravailleront ensemble.

Nous nous trouvâmes réunis à Saint-Michel, sur la route du Mont-Cenis, le 20 juin 1864 à midi, et nous nous dirigeâmes dans la journée par le col de Valloires sur le village du même nom. Le sommet de cet agréable petit passage est à près de 1065 mètres au-dessus de Saint-Michel ; nous y découvrîmes une belle vue sur les Aiguilles d’Arve, groupe formé de trois pics d’une forme singulière et qui était l’objet spécial de nos investigations[2]. Elles avaient été vues par nous, ainsi que par d’au-

  1. Croz était né au village du Tour, dans la vallée de Chamonix, le 22 avril 1830 ; Almer était plus âgé d’un an ou deux.
  2. Du sommet du col de Valloires on découvre aussi la Pointe des Écrins