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CHAPITRE IX.

rents. Trous et pierres s’y confondaient. Trébuchant à chaque pas, nous tombions meurtris de tous côtés, à bout de forces et de bonne humeur. Mes compagnons, tous deux myopes, trouvaient cette promenade finale particulièrement désagréable ; nul d’entre nous ne s’étonna donc quand, arrivés sur un énorme bloc de rochers gros comme une maison, cube régulier, tombé des flancs du Pelvoux, et qui n’offrait pas l’ombre d’un abri, Moore s’écria avec extase : « Oh ! délicieux ! charmant ! juste ce que j’ai toujours rêvé ! Nous allons organiser un bivouac tout à fait original et imprévu. » La nuit — il importe de l’ajouter — nous promettait du tonnerre, des éclairs, de la pluie et bien d’autres jouissances.

Pour Croz et pour moi, les agréments d’un bivouac pareil n’ayant pas le mérite de la nouveauté, nous souhaitions prosaïquement de nous procurer le ridicule abri d’un toit, mais Walker et Almer déclarèrent, avec leur condescendance habituelle, qu’eux aussi ils désiraient bivouaquer en plein air. Le trio enthousiaste résolut donc de faire halte. Nous lui laissâmes généreusement toutes les provisions, — 30 centimètres cubes de jambon gras et une demi-chandelle, — puis nous partîmes au plus vite pour descendre aux chalets d’Ailefroide, nous croyions du moins nous diriger de ce côté sans en être bien sûrs. Après une demi-heure de marche, nous nous trouvâmes arrêtés par le torrent principal, et Croz disparut subitement. Je m’avançai avec précaution pour tâcher de jeter un coup d’œil inquiet sur l’endroit où je supposais qu’il devait être tombé, mais le pied me manqua et je me trouvai soudain au beau milieu d’une énorme touffe de rhododendrons, la tête en bas, les jambes en l’air. En travaillant, non sans peine, à me tirer de ce mauvais pas, une deuxième culbute par-dessus un bloc de rochers me fit glisser dans une crevasse si voisine du torrent que l’eau m’éclaboussait entièrement.

Le colloque suivant s’engagea alors au milieu du fracas des eaux :

« Ohé, Croz !

— Eh ! monsieur.