Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
240
ESCALADES DANS LES ALPES.

tention ; mais je reconnus ma méprise quand il dit à voix basse : « Monsieur Édouard ! » C’était en effet notre compagnon du Pelvoux, M. Reynaud, l’excellent agent voyer de la Bessée.

Nous avions invité M. Reynaud à nous accompagner dans l’excursion dont ce chapitre contient la description, mais il était arrivé à Vallouise après notre départ, et il avait couru résolûment après nous pendant toute la nuit. Dans notre opinion un passage devait exister sur la haute arête appelée (sur la carte française) la crête des Bœufs-Rouges[1], près du pic nommé les Bans ; et cette route devait être la plus courte (pour le temps comme pour la distance), si l’on voulait en partant de Vallouise traverser les Alpes centrales du Dauphiné. De la Brèche de la Meije, nous avions vu le côté septentrional (ou Pilatte) de cette chaîne, et il nous avait paru praticable près de la crête des Bœufs-Rouges. Nous ne pouvions guère en être parfaitement sûrs à une distance de 17 kilomètres. Notre intention était d’atteindre un point de l’arête situé immédiatement au-dessus de la partie qui paraissait offrir l’accès le plus facile.

Le 27 juin nous quittâmes Entraigues à 3 heures 30 minutes du matin, nous dirigeant, par un chemin doucement incliné, vers la base du Pic de Bonvoisin. (En réalité nous suivions la route du col de Célard, qui conduit de Vallouise dans le Val Godemar[2].) À 5 heures, j’envoyai Almer en reconnaissance au-dessus des pentes inférieures du Bonvoisin, car, du fond de la vallée, il nous était impossible d’apercevoir l’arête sur laquelle nous devions nous diriger. Almer nous fit signe de loin que nous pouvions avancer ; et, à 5 heures 45 minutes, nous quittions les couches de neige qui remplissaient le fond de la vallée, pour gravir les pentes qui remontaient vers le nord.

Leur direction était celle du N. N. O., et elles étaient prodigieusement raides. En moins de trois kilomètres de latitude nous

  1. De même que bien d’autres noms donnés aux montagnes et aux glaciers sur la feuille 189, ce nom n’est pas un nom du pays, ou du moins, ce n’est pas un de ceux qui sont en usage.
  2. Le col de Selar (ou de Celard) est à 3070 mètres d’altitude (d’après Forbes). Des paysans d’Entraigues m’avaient dit que l’on pouvait facilement y faire passer des chèvres et des moutons.