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ESCALADES DANS LES ALPES.

louise[1], le cœur réjoui par la vue des beaux pics du Pelvoux qui resplendissaient au soleil dans un ciel sans nuages.

Je renouvelai connaissance avec le maire de « Ville. » Il avait une tournure originale et des manières gracieuses, mais l’odeur qui s’exhalait de sa personne était horrible. Le même reproche peut du reste s’adresser Et la plupart des habitants de ces vallées[2].

Reynaud eut la complaisance de s’occuper des provisions ; mais, au moment de partir, je vis à ma grande contrariété que, en me déchargeant de ce soin, j’avais consenti tacitement à ce qu’il emportât un petit baril de vin qui fut un grand embarras dès le début du voyage. Il était excessivement incommode de le tenir à la main ; Reynaud essaya de le porter, puis il le passa à Giraud ; ils finirent par le suspendre à l’un de nos bâtons dont ils placèrent les deux extrémités sur leurs épaules.

À Ville, la vallée de Vallouise se divise en deux branches : le Val d’Entraigues à gauche et le vallon d’Alefred (ou Ailefroide) à, droite. C’était ce dernier que nous devions remonter. Nous nous dirigeantes d’un pas ferme vers le village de la Pisse, résidence de Pierre Sémiond, qui, d’après l’opinion générale, connaissait mieux le Pelvoux qu’aucun autre habitant de la vallée. Cet homme avait l’air fort honnête ; malheureusement il était malade et ne pouvait nous accompagner. Il nous re-

  1. Village ou ville de 1265 habitants, situé à 1209 mètres environ d’altitude.
  2. Leur dernier préfet vous dira pourquoi : « Les hommes et les femmes ont pour habits des peaux de mouton desséchées et dégraissées avec du sel ; les pieds servent d’agrafes : ceux de devant pour attacher ces peaux au cou, ceux de derrière pour les arrêter au-dessous du ventre. Leurs bras sont nus, et on ne distingue les hommes des femmes qu’aux misérables caleçons que portent les hommes, tandis que les femmes ont une espèce de jupe qui ne les couvre que jusqu’au-dessous des genoux. Ils couchent tout habillés sur la paille, et n’ont pour couvertures que des peaux de mouton… La nature de leurs aliments et leur malpropreté font qu’il s’exhale de leur corps une odeur forte, qui se sent de loin et qui est presque intolérable pour les étrangers… Ils vivent dans une très-grande médiocrité, ou plutôt ils languissent dans une misère affreuse. Leurs visages sales et hideux annoncent leur malpropreté et leur puanteur. » (Histoire des Hautes-Alpes, par Ladoucette, p. 656 et 657.)

    À présent les peaux de mouton ne sont plus portées que par les paysans les plus pauvres, mais le reste de la description est encore parfaitement exact.