Il y a sur le Cervin un immense couloir qui monte du glacier du mont Cervin à un point très-élevé de l’arête du sud-ouest[1]. Je proposai de gravir ce couloir jusqu’à son extrémité supérieure, puis de passer par l’arête du sud-ouest sur le versant oriental. Nous nous serions alors trouvés au niveau de la base de la grande pente de neige que l’on voit (gravure de la page 315) au centre du versant oriental de la montagne ; cette pente de neige, nous l’aurions traversée en diagonale afin de gagner la neige située sur l’arête du nord-est et qu’il est facile de distinguer sur la même gravure, à 1 centimètre 25 millimètres au-dessous du sommet. Le reste de l’ascension se serait fait sur une pente de rochers et de neige, du côté septentrional de la montagne. Croz, saisissant bien ma pensée, en jugea l’exécution possible. Tous les détails réglés, nous descendîmes au Breuil. Luc Meynet, le brave petit bossu, convoqué à l’hôtel, se déclara très-heureux de reprendre son ancien métier de porteur de tente. La cuisine de Favre s’empressa de préparer des rations pour trois jours, car j’avais résolu de consacrer tout ce temps à notre entreprise ; nous devions passer la première nuit sur les rochers situés au sommet du couloir ; le second jour, tâcher d’atteindre le sommet et revenir sous la tente ; le troisième jour, redescendre au Breuil.
Partis le 21 juin, à 5 heures 45 minutes du matin, nous suivîmes pendant trois heures la route du Breuiljoch[2]. Nous voyions très-bien de là notre couloir, vers lequel nous nous dirigeâmes en faisant un angle droit. Plus nous nous en approchions, plus son aspect nous paraissait favorable. Il contenait une notable quantité de neige dont l’inclinaison était peu considérable ; déjà on pouvait juger qu’un bon tiers de l’ascension n’offrirait aucune difficulté. Cependant certains indices suspects que nous remarquâmes à sa base nous faisaient redouter des avalanches de pierres ; par mesure de précaution nous