Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/330

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
ESCALADES DANS LES ALPES.

nous mîmes sur l’un de ses côtés à l’abri de quelques rochers et nous attendîmes un peu pour voir si nos craintes ne se réaliseraient pas. Pas une pierre ne tomba. Nous nous remîmes alors à grimper à la droite du couloir (au nord), taillant des pas dans la neige ou montant par les rochers. Arrivés ainsi un peu avant 10 heures à un point convenable pour une halte, nous nous arrêtâmes afin de nous reposer, tout au bord de la neige, sur des rochers d’où nous voyions très-bien le couloir.

Tandis que les guides préparaient le déjeuner, je m’avançai sur un petit promontoire pour examiner de plus près le chemin que nous devions suivre. J’admirai notre magnifique couloir qui pénétrait en droite ligne jusqu’au cœur de la montagne sur une hauteur de plus de 300 mètres. Il faisait ensuite un coude vers le nord pour s’élever jusqu’à la crête de l’arête du sud-est. Ce coude piquait ma curiosité. Qu’y avait-il derrière ? Je le fixais attentivement, tout en contemplant les courbes gracieuses formées par la neige dans le couloir et aboutissant à un large sillon central, quand j’aperçus quelques petites pierres qui dégringolaient doucement. Je ne m’en inquiétai guère, me disant que nous les éviterions facilement en suivant de très-près l’un des côtés. Mais une autre pierre les suivit, beaucoup plus grosse, descendant avec une vitesse de 80 kilomètres à l’heure, et bientôt suivie à son tour par une autre, puis par une autre encore… Je n’avertis pas les guides, ne voulant pas les inquiéter inutilement. Ils n’avaient rien entendu. Almer, assis sur un quartier de roc, taillait de larges tranches dans un superbe gigot ; les autres babillaient ensemble. Un craquement soudain les avertit du danger ; un bruit épouvantable retentit dans les rochers ; levant les yeux, ils aperçurent d’énormes masses de blocs et de pierres de toute dimension s’élancer du fameux coude situé à plus de 250 mètres au-dessus de nous, se précipiter avec furie contre les rochers opposés, rebondir contre les parois rocheuses qui dominaient notre campement, puis descendre en formant une effroyable avalanche : quelques blocs heurtant tour à tour les deux côtés du couloir ; d’autres rebondissant sur la neige en faisant des sauts de plus de 30 mètres ; le