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CHAPITRE XIV.

reste tombant comme une trombe en masses confuses, mélange de neige, de glace, de pierres, et creusant des sillons profonds dans ces gracieuses ondulations qui avaient excité mon admiration un instant auparavant.

Épouvantés, les guides jetèrent un regard d’angoisse autour d’eux, et, lâchant ce qu’ils tenaient, ils s’élancèrent dans toutes les directions à la recherche d’un abri. Le précieux gigot roula d’un côté, l’outre d’un autre, et son contenu s’échappa du goulot débouché, tandis que mes quatre compagnons se blottissaient sous les rochers en tâchant de se faire aussi petits que possible. N’allez pas croire au moins que leur frayeur fût déraisonnable, et que je ne la partageai pas moi-même. Je pris le plus grand soin de ma propre personne, et je m’aplatis dans un trou jusqu’à ce que cette averse de pierres fût passée. Mais les efforts qu’ils firent pour se tapir sous les rochers étaient, je dois l’avouer, on ne peut plus comiques.

Je n’ai jamais été témoin d’une pareille panique sur une montagne.

Les ricochets décrits par cette avalanche étaient une nouveauté pour moi. Ils provenaient sans doute de la courbe que formait le couloir, et de la grande vitesse que les rochers avaient acquise dans leur chute avant d’en avoir dépassé l’angle. Dans un couloir droit cette chute de pierres n’eût pas eu les mêmes conséquences. Ainsi que je l’ai remarqué plus haut (page 243), les pierres qui tombent suivent généralement le centre des couloirs ; si l’on gravit les côtés de ces couloirs, elles ne peuvent vous atteindre.

Nous battîmes en retraite avec un ensemble parfait ; car la perspective d’être écrasés était fort peu réjouissante et le danger était trop redoutable. « Qu’allons-nous faire maintenant ? » me demanda-t-on. Je proposai de grimper sur les rochers qui nous dominaient, mais cette proposition fut repoussée à l’unanimité. Évidemment les guides avaient raison, mais je ne voulais pas renoncer à mon idée avant de m’être assuré qu’elle n’était pas praticable ; je me mis donc à grimper tout seul sur les rochers pour résoudre la question. Quelques minutes après, je fus obli-