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ESCALADES DANS LES ALPES.

Grand-Pelvoux, qui présente du sommet à la base 1800 à 2100 mètres de rochers presque à pic.

Les chalets d’Ailefroide sont un amas de misérables huttes de bois, bâties au pied du Grand-Pelvoux, près de la jonction des torrents qui descendent du glacier de Sapenière (ou du Selé) à gauche, et des glaciers Blanc et Noir à droite. Nous nous y reposâmes quelques minutes pour y acheter un peu de beurre et de lait, et Sémiond s’adjoignit un affreux petit drôle pour nous aider à porter, à pousser et à rouler notre baril de vin.

Au delà des chalets d’Ailefroide, nous tournâmes brusquement à gauche, fort heureux que le jour tirât à sa fin, car nous profitions de l’ombre des montagnes. L’imagination ne saurait rêver une vallée d’un aspect plus triste et plus désolé. On n’y voit pendant l’espace de plusieurs kilomètres que rocs éboulés, amas de pierres, tas de sable et de boue. Les arbres y sont rares et si haut perchés qu’ils deviennent presque invisibles. Nul être humain ne l’habite ; il n’y a ni oiseaux dans l’air, ni poissons dans les eaux ; les pentes, trop escarpées pour les chamois, n’offrent pas d’abri suffisant aux marmottes, et l’aigle lui-même ne peut s’y plaire. Pendant quatre jours nous ne vîmes pas une créature vivante dans cette sauvage et stérile vallée, si ce n’est quelques pauvres chèvres qui y avaient été amenées bien malgré elles.

C’était un bien digne décor pour la tragédie qui y avait eu lieu environ quatre cents ans auparavant, le massacre des Vaudois de Vallouise, dans la caverne que nous apercevions alors bien au-dessus de nous. Fort triste est leur histoire : industrieux et paisibles, ils habitaient depuis plus de trois siècles ces vallées retirées, où ils vivaient dans la plus obscure tranquillité. Les archevêques d’Embrun tentèrent, mais avec peu de succès, de les ramener dans le giron de leur Église ; d’autres catholiques, voulant seconder cette tentative, commencèrent par les emprisonner et par les torturer, puis ils les brûlèrent tout vivants par centaines[1].

  1. Nous trouvons parmi les comptes courants du bailli d’Embrun cet arti-