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ESCALADES DANS LES ALPES.

Avant de continuer cette étude sur le crétinisme, il importe donc d’examiner le goître avec plus d’attention, car l’état de santé fâcheux qui produit le goître a peut-être en réalité une connexion intime avec le crétinisme.

En Angleterre, le goître est plus que partout ailleurs considéré comme une véritable calamité, ceux qui en sont affligés font tous leurs efforts pour le dissimuler. Dans les Alpes, c’est tout le contraire. En France, en Italie, en Suisse, un goître constitue un avantage très-positif, parce qu’il exempte du service militaire. C’est un objet précieux, dont on fait montre, que l’on entretient avec soin ; il épargne tant d’argent ! Cette circonstance particulière perpétue, on ne saurait le nier, la grande famille goîtreuse.

Quand la Savoie fut annexée à la France, l’administration française, ayant fait l’inventaire des ressources de son nouveau territoire, ne tarda pas à constater que le nombre des conscrits ne serait pas proportionné à celui des hectares. Le gouvernement s’efforça donc d’améliorer ce fâcheux état de choses. Convaincu que le goître était produit par la nature des eaux bues, créé, entretenu et développé par l’ivrognerie et par la malpropreté, il prit des mesures pour assainir les villages, il fit analyser les eaux pour indiquer aux populations celles qu’elles ne devaient pas boire, enfin il distribua aux enfants dans les écoles des pastilles contenant une légère dose d’iode. Sur 5000 enfants goîtreux soumis à ce traitement pendant huit ans, 2000 furent, dit-on, guéris, et l’état de 2000 autres fut amélioré ; le nombre des cures eût été bien plus considérable si les parents « afin de conserver le privilége de l’exemption du service militaire, ne s’étaient pas opposés aux soins que le gouvernement faisait donner à leurs enfants. » Ces pauvres créatures, aveuglées par l’ignorance, refusaient le bâton de maréchal et préféraient garder leur « besace de chair[1] ! »

Le Préfet de la Haute-Savoie proposa donc un jour de ne plus

  1. Voir la brochure déjà citée du docteur Chabrand.