Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
335
CHAPITRE XIV.

exempter du service militaire les conscrits affligés d’un goître. Qu’il fasse même un pas de plus dans cette voie ; qu’il obtienne un décret pour incorporer dans l’armée tous les goîtreux en état de porter les armes. Qu’ils forment un régiment à part, commandé par des crétins. Quel admirable esprit de corps ils auraient ! Qui pourrait leur résister ? Qui comprendrait leur tactique ? M. le Préfet épargnerait ainsi son iode et ferait un acte de justice envers la partie saine de la population. Le sujet est digne d’une attention très-sérieuse. Si le goître est en réalité l’allié du crétinisme, il faut l’extirper le plus vite possible[1].

Dans l’opinion de de Saussure, les causes du crétinisme sont, au lieu de la mauvaise qualité de l’eau, la chaleur et la stagnation de l’air, mais cette explication n’est pas plus satisfaisante que celle qu’elle prétend remplacer. Il y a en effet des localités chaudes dont l’air est vicié et où la maladie est inconnue. D’un autre côté, elle est commune dans des pays parfaitement aérés et qui jouissent d’un climat tempéré. Quant à la vallée d’Aoste, on peut se demander si la stagnation de l’air y est réelle ou imaginaire. Selon moi, l’oppression que les étrangers prétendent ressentir au milieu de la vallée est due, non à la stagnation de l’air, mais à l’absence d’ombre, la vallée courant de l’est à l’ouest. Si des observations sérieuses y étaient faites sur la force du vent, d’après des méthodes usitées dans d’autres pays, elles constateraient que l’air y circule parfaitement pendant toute l’année. D’ailleurs, plusieurs localités, où les crétins sont le plus nombreux, se trouvent situées au débouché des vallées latérales, sur des pentes élevées et parfaitement drainées, à l’abri de la malaria qui est considérée comme la cause principale du crétinisme dans la vallée du Rhône.

  1. Les individus goîtreux, exemptés du service militaire, restent dans leur pays natal, s’y marient et lèguent leur maladie à leurs enfants. S’ils le quittaient au contraire, et s’ils étaient envoyés dans des départements où cette affreuse maladie n’existe pas (surtout sur le bord de la mer), ils reviendraient parfaitement guéris à l’expiration de leur service. En outre, si les goîtreux n’étaient pas exemptés, un plus grand nombre d’individus, jouissant d’une bonne santé, resteraient dans leurs villages, s’y marieraient et donneraient le jour à des enfants sains et robustes. (Guy et Dagand.)