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ESCALADES DANS LES ALPES.

praticable. Au-dessous, s’étendait une pente de 900 mètres, couverte, soit de glaciers, soit de vastes forêts, et sur laquelle un seul point nous inspirait quelques inquiétudes. C’était un endroit où les glaciers, se rétrécissant, se trouvaient resserrés entre des espèces de bastions formés de roches arrondies, beaucoup trop lisses pour n’être pas fort suspectes à un œil exercé. Impossible d’y tracer à l’avance notre itinéraire. Nous traversâmes cependant ce passage difficile le lendemain à quatre heures du matin, sous l’habile direction de Michel Croz[1]. Au delà, nous voguâmes à pleines voiles et nous atteignîmes le sommet des Grandes Jorasses à une heure de l’après-midi. Une violente tempête régnait dans ces régions élevées ; des nuées orageuses, fouettées par le vent, s’accumulaient autour des sommets et nous enveloppaient de tourbillons de brume ; séparés du reste de l’univers, nous pouvions nous croire suspendus entre le ciel et le globe terrestre que nous apercevions par échappées, sans trop savoir auquel des deux nous appartenions.

Ma patience se lassa avant que les nuages eussent disparu ; nous descendîmes donc sans avoir atteint le but de notre ascension. Nous suivîmes d’abord la petite arête qui descend du sommet que nous avions gravi[2], puis nous prîmes, à son extrémité supérieure, le couloir de glace situé à la gauche de cette arête, et complétement blanc.

Les pentes, fort raides, étaient recouvertes d’une neige fraîche,

  1. Voir, pour cette route, la carte du Mont-Blanc.
  2. Nous avions fait l’ascension des Grandes Jorasses pour examiner la partie supérieure de l’Aiguille Verte ; aussi avions-nous choisi le sommet le plus occidental, de préférence au sommet le plus élevé. Les deux cimes sont représentées sur la gravure. Celle de droite est la plus élevée ; celle de gauche, sur laquelle nous montâmes, a environ 30 mètres de moins que la première. Deux jours environ après notre ascension, des guides de Cormayeur, Henri Grati, Julien Grange, Jos.-Mar. Perrod, Alexis Clusaz et Daniel Gex suivirent nos traces jusqu’au sommet, afin d’apprendre à connaître le chemin. Ces sortes de courses sont rarement entreprises par des guides avides ou peu intelligents ; je suis donc heureux de pouvoir citer les noms de ceux-ci. Le 29 et le 30 juin 1868, la cime la plus élevée (4204 mètres) des Grandes Jorasses fut gravie par M. Horace Walker, avec les guides Melchior Anderegg, J. Jaun et Julien Grange.