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ESCALADES DANS LES ALPES.

des pas. Giraud marchait en tête, et, sous le prétexte qu’il aimerait à s’exercer la main, il s’empara de notre hache qu’il refusa de nous rendre. Ce jour-là et toutes les fois qu’il fallut traverser ces couloirs remplis de neige durcie qui sont si abondants dans la partie supérieure de la montagne, il fit à lui seul toute la besogne, dont il s’acquitta admirablement.

Le vieux Sémiond vint nous rejoindre quand nous eûmes traversé le glacier. Nous escaladâmes, en décrivant des zigzags, quelques pentes de neige, et bientôt après nous commençâmes à gravir l’interminable série des contre-forts qui sont la grande singularité du Pelvoux[1]. Très-abrupts sur certains points, ils offraient généralement une base solide, et, dans de telles conditions, une ascension ne peut jamais être qualifiée de difficile. Entre ces contre-forts s’étendent de nombreux ravins dont quelques-uns sont très-larges et très-profonds. Ils étaient pour la plupart encombrés de débris, et un homme seul eût eu de la peine à les traverser. Ceux d’entre nous qui tenaient la tête étaient continuellement obligés de déplacer des blocs de rochers et de harponner leurs compagnons avec leurs bâtons. Néanmoins, ces incidents rompaient la monotonie de notre ascension, qui autrement nous eût paru fort ennuyeuse.

Nous escaladâmes ainsi pendant des heures cheminées et couloirs, croyant toujours atteindre un but auquel nous n’arrivions jamais. Le profil ci-joint aidera à expliquer notre situation. Nous étions au pied d’un grand contre-fort élevé d’environ 60 mètres, et nous le regardions de bas en haut : il ne nous semblait pas se terminer en pointe comme dans le dessin, car nous ne pouvions en apercevoir la partie supérieure ; cependant, dans notre conviction, derrière cette frange de bastions il devait se trouver un sommet, et ce sommet était le bord du plateau que nous désirions si vivement atteindre. Nous grimpions avec ardeur, et nous escaladions une dentelure de bastion ;

  1. « Le noyau du massif est une belle protogyne, divisée par des fentes presque verticales. » (Dollfus-Ausset.)