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CHAPITRE XXI.

guide. Le plus jeune des Taugwalder m’échut en partage ; fier de faire partie de notre expédition, heureux de montrer sa vigueur et son adresse, il se distingua dès le départ.

J’étais chargé de porter les outres qui renfermaient la provision de vin ; chaque fois qu’on y puisa dans le courant de la journée, j’eus soin de les remplir secrètement avec de l’eau ; aussi, à la halte suivante, se trouvèrent-elles plus pleines encore qu’au départ ! Ce phénomène, qui parut presque miraculeux, fut considéré comme un heureux présage.

Notre intention n’était pas de nous élever à une grande hauteur le premier jour ; nous montâmes donc fort à notre aise. À 8 heures 20 minutes, nous recueillîmes les objets déposés dans la chapelle du Schwarzsee, puis nous continuâmes à gra-

    jour en moyenne pouvait être regardé comme un bon marcheur. « Un beau marcheur, reprit-il, — un beau marcheur. » — « Alors qui qualifierez-vous de bon marcheur ? » — « Eh bien, reprit-il, je vais vous le dire. Il y a quelque temps, j’avais résolu de faire un voyage en Suisse avec un ami ; il m’écrivit peu après pour m’avertir qu’il devait emmener avec lui un très-jeune homme assez délicat, incapable de soutenir de grandes fatigues, et de faire à pied plus de 80 kilomètres par jour ! » — « Qu’est devenu ce jeune garçon si délicat ? » — « Il vit et se porte fort bien. » — « Et qui était votre ami extraordinaire ? » — « Charles Hudson. » — Les deux gentlemen dont je viens de parler étaient parfaitement en état, j’en suis persuadé, de faire à pied plus de 80 kilomètres par jour, mais c’étaient des marcheurs exceptionnels et non de bons piétons.

    Charles Hudson, vicaire de Skillington dans le Lincolnshire, était regardé comme le plus fort amateur de son temps par la confrérie des touristes-montagnards. Il avait organisé et guidé l’expédition anglaise qui fit en 1865 l’ascension du Mont-Blanc par l’Aiguille du Goûter et descendit par les Grands Mulets, le tout sans aucun guide. Une longue pratique avait rendu son pied parfaitement sûr ; sous ce rapport, il était peu inférieur à un montagnard de naissance. C’était un homme bien constitué, d’une taille moyenne et d’un âge moyen, ni gros ni maigre, d’une figure agréable, quoique plutôt sérieuse, et de manières parfaitement simples. Bien qu’il ne fût pas très-grand, sa force était athlétique ; quoiqu’il eût exécuté avec un succès complet les tours de force les plus extraordinaires dans ses excursions alpestres, il était certes le dernier à parler de ses exploits, dont il ne tirait pas la moindre vanité. M. Hadow, son ami, jeune homme de dix-neuf ans, avait l’air et les manières d’un homme plus âgé. C’était aussi un marcheur remarquable, mais il faisait en 1865 sa première campagne dans les Alpes. Lord Francis Douglas était à peu près du même âge que M. Hadow. Il avait sur lui l’avantage d’avoir passé plusieurs étés dans les Alpes ; agile et souple comme un daim, il fût devenu sous peu un parfait montagnard. Il venait justement, avant notre rencontre,