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Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/404

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ESCALADES DANS LES ALPES.


Peu de minutes après, un jeune garçon, doué d’une vue perçante, courut à l’hôtel du Mont-Rose dire à M. Seiler qu’il venait de voir une avalanche tomber du sommet du Cervin sur le glacier. On le gronda de venir faire un conte aussi absurde. Hélas ! il avait raison ! Voici ce qu’il avait vu.

Michel Croz venait de poser sa hache à côté de lui, et, pour assurer une sécurité plus complète à M. Hadow, il s’occupait uniquement de diriger sa marche en plaçant l’un après l’autre les pieds du jeune touriste dans la position qu’ils devaient occuper[1]. Autant que j’ai pu en juger, personne ne descendait à ce moment. Je ne puis l’affirmer, parce que Croz et Hadow m’étaient en partie cachés par un bloc de rochers ; je crois cependant en être sûr. Au mouvement de leurs épaules, je jugeais que Croz, après avoir fait ce que je viens de dire, se retournait pour descendre lui-même d’un ou de deux pas ; à ce moment, M. Hadow glissa, tomba sur Croz et le renversa. J’entendis Croz pousser un cri d’alarme et presque au même moment je les vis glisser tous deux avec une rapidité effrayante ; l’instant d’après, Hudson se trouva entraîné à leur suite, ainsi que lord F. Douglas[2]. Tout ceci se passa avec la vitesse de l’éclair. À peine le vieux Pierre et moi eûmes-nous entendu l’exclamation que nous nous cramponnâmes de toutes nos forces au rocher ; la corde, subitement tendue, nous imprima une violente se-

    qu’il ressentît la secousse. Lord F. Douglas n’était pas dans une situation favorable, car il ne pouvait ni monter ni descendre. Le vieux Pierre, solidement posé, se trouvait juste au-dessous d’un bloc de rochers qu’il étreignit dans ses bras. J’entre dans tous ces détails pour faire mieux comprendre que la position occupée par tous les membres de l’expédition au moment de l’accident n’était en aucune façon dangereuse. Force nous fut de passer dans les mêmes pas où le malheureux Hadow avait glissé ; et, bien que nous fussions singulièrement nerveux, nous constatâmes que ce passage n’offrait aucune difficulté. J’ai décrit cette pente raide comme étant difficile à gravir en général ; elle l’est assurément pour la plupart des touristes ; mais j’insiste particulièrement sur ce fait que M. Hadow glissa dans un endroit facile à monter ou à descendre.

  1. Ce procédé s’emploie fréquemment, même entre montagnards exercés. Mon intention est de faire bien comprendre que Croz prenait toutes les précautions exigées par la prudence la plus sévère, et non de mettre en doute, je ne dirai pas le courage, mais l’expérience de M. Hadow.
  2. Par malheur, nous ne pouvions changer de position.