Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/419

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
411
APPENDICE.

L’heure exacte de leur arrivée ne paraît pas avoir été observée. Je pense qu’il était assez tard, à peu près 3 heures du soir. Carrel et son camarade restèrent sur le sommet juste le temps nécessaire pour y planter un drapeau à côté du cairn que nous avions élevé trois jours auparavant ; puis ils rejoignirent leurs deux compagnons, et tous quatre se hâtèrent de regagner la tente aussi vite que possible. Ils étaient si pressés qu’ils ne prirent même pas le temps de manger. À 9 heures du soir seulement ils atteignirent leur campement au pied de la Grande-Tour. En y descendant, ils suivirent dans toute sa longueur la galerie mentionnée ci-dessus, et évitèrent ainsi les rochers trop difficiles qu’ils avaient dû escalader en montant. Pendant qu’ils étaient sur « l’Épaule » ils furent témoins du phénomène dont il a été parlé à la page 399.

Quand ils furent près du sommet, Carrel et Bich aperçurent nos traces sur le glacier du Cervin, et se doutèrent qu’un accident avait eu lieu ; cependant ils n’apprirent la catastrophe du Cervin qu’à leur retour au Breuil, le 18, à 3 heures du soir. Les détails de ce triste événement étaient dans toutes les bouches ; faute d’informations exactes, l’accident passait assez naturellement pour une preuve certaine de l’extrême danger qu’offrait le versant septentrional de la montagne. D’autre part, l’heureux retour des quatre Italiens témoignait non moins évidemment que la route du Breuil était la plus sûre. Ceux qui s’intéressaient par intérêt personnel ou pour d’autres causes au Val Tournanche tirèrent un habile parti des circonstances et entonnèrent l’éloge de la route méridionale. Quelques-uns allèrent même plus loin ; établissant des comparaisons entre les deux routes au désavantage de celle du nord ; ils se plurent à insinuer que notre expédition des 13 et 14 juillet avait été faite avec précipitation, etc., etc.

Rétablissons donc la vérité des faits. Les Taugwalders et moi nous fûmes absents de Zermatt pendant vingt-trois heures, sans compter les haltes et les arrêts pour une cause ou pour l’autre. Zermatt étant à 1620 mètres d’altitude, le Cervin à 4482, nous avions à gravir 2862 mètres ; Le chemin était connu jusqu’au point marqué 3298 mètres, nous n’avions donc à chercher notre route que sur un espace de 1184 mètres. Les membres de notre expédition (cette fois, tous compris) étaient fort inégaux au double point de vue de la force et de l’adresse ; aucun d’eux ne pouvait être un instant comparé comme grimpeur de rochers à Jean-Antoine Carrel. Les quatre Italiens, qui partirent du Breuil le 16 juillet, furent absents pendant cinquante-six heures et demie ; autant que j’en puis juger d’après le récit publié et d’après des conversations avec les guides, l’ascension et la descente leur prirent vingt-trois heures trois quarts, sans compter les haltes. L’hôtel du Breuil est à 2100 mètres d’altitude, ils avaient donc 2382 mètres à gravir. Carrel connaissait la montagne jusqu’à l’extrémité de « l’Épaule », il n’avait, par conséquent, à chercher son chemin que sur une hauteur de 242 mètres environ ; Les quatre guides, montagnards de naissance, étaient de très-habiles grimpeurs, et ils avaient pour chef l’homme le plus adroit à escalader les rochers que j’aie jamais vu. Le temps fut également favorable aux deux expéditions. On voit donc que ces quatre guides de force égale mirent plus de temps à gravir une hauteur moins élevée de 480