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APPENDICE.

mètres que celle qu’il nous avait fallu escalader[1] ; et cependant nous avions dû chercher notre chemin sur un espace inconnu quatre fois plus considérable. Ce fait seul permet de supposer que leur route a dû être beaucoup plus difficile que la nôtre, ce qui, du reste, était vrai.

Telle n’était point l’opinion répandue dans le Val Tournanche à la fin de 1865, et les gens du pays comptaient bien voir les touristes se porter en foule dans leur vallée, de préférence à celle de Zermatt. Ce fut, je crois, feu le chanoine Carrel, d’Aoste (il s’intéressait toujours beaucoup à ces expéditions), qui, le premier, proposa de construire une cabane sur le versant méridional du Cervin. Ce projet fut adopté avec enthousiasme, et les fonds nécessaires à son exécution furent promptement versés, principalement par les membres du Club alpin italien, ou par leurs amis. L’infatigable Carrel sut découvrir une excavation naturelle sur l’arête appelée « la Cravate » (4122 mètres) ; et, quelque temps après, elle fut, sous sa direction, transformée en une petite cabane très-convenable. Sa position est superbe, et la vue que l’on y découvre, grandiose.

Pendant l’exécution de ce travail, mon ami M. F. Craufurd-Grove vint me consulter sur l’ascension du Cervin. Je lui recommandai de la faire par le versant septentrional et de prendre Jean-Antoine Carrel pour guide. Mais Carrel préféra le versant méridional ; ils suivirent, en conséquence, la route du Breuil. M. Grove eut la bonté de me communiquer le récit suivant de son expédition. Il continue ma description de la route méridionale, à partir du point le plus élevé que j’aie atteint de ce côté (un peu au-dessous de la Cravate) jusqu’au sommet ; il complète ainsi les descriptions que j’ai faites des deux versants.

« Je partis du Breuil, au mois d’août 1867, pour faire l’ascension du Cervin ; j’avais pour guides trois montagnards du Val Tournanche : Jean-Antoine Carrel, J. Bich et S. Meynet ; Carrel était le guide en chef. À cette époque, le Cervin n’avait pas été escaladé depuis la fameuse expédition des guides italiens racontée ci-dessus.

Nous suivîmes exactement la route qu’ils avaient suivie en descendant, lorsque, comme on le verra plus loin, ils durent chercher une direction différente de celle qu’ils avaient prise pour monter. Après avoir gagné d’abord le col du Lion, nous escaladâmes l’arête du sud-ouest ou du Breuil, par la voie décrite ci-dessus, et nous passâmes la nuit dans la hutte encore inachevée construite par le Club alpin italien sur la « Cravate ». Nous quittâmes cette hutte à la pointe du jour, et nous atteignîmes de bonne heure le sommet de « l’Épaule » dont nous traversâmes l’arête pour monter au pic terminal du Cervin. Le passage de cette arête fut peut-être la partie la plus intéressante de toute l’ascension. Minée par une lente destruction, la crête en est irrégulièrement découpée en créneaux gigantesques, et bordée, de chaque côté, par d’effroyables précipices ; son aspect grandiose défie toute description, et, chose pourtant étrange, elle n’est pas très-difficile à escalader ; le vertige, seul, offre un danger sérieux.

  1. L’allure d’une expédition se règle sur le pas du moins habile de ses membres.