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ESCALADES DANS LES ALPES.

nous y installer, il nous fallut en débarrasser la base d’un gros bloc qui nous gênait ; ce bloc était très-obstiné, mais il finit par se décider à se mouvoir lentement d’abord, puis de plus en plus rapidement ; à la fin, prenant son élan, il bondit dans l’air, lançant, chaque fois qu’il retombait sur un autre rocher, des gerbes d’étincelles qui brillaient dans l’obscurité de la sombre vallée au fond de laquelle il roulait ; longtemps après l’avoir perdu de vue, nous l’entendîmes rebondir de roc en roc et s’arrêter sur le glacier, qui assourdit le bruit de sa dernière chute. Comme nous revenions à notre gîte, après avoir assisté à ce curieux spectacle, Reynaud demanda si nous avions jamais vu un torrent enflammé ; à l’en croire, la Durance, quand elle est gonflée par la fonte des neiges, charrie quelquefois, au printemps, tant de rochers que, à la Bessée, où elle passe dans une gorge très-étroite, on ne voit plus l’eau, mais seulement les blocs qui roulent l’un sur l’autre, se heurtant de façon à se réduire en poudre, et lançant dans l’air une telle masse d’étincelles que le torrent paraît être en feu.

Nous passâmes une joyeuse soirée qu’aucun contre-temps ne vint gâter ; le temps était parfaitement beau ; étendus sur le dos, nous goûtions un repos délicieux en contemplant le ciel étincelant de ses milliers d’étoiles.

Macdonald nous raconta ses aventures. Il avait voyagé jour et nuit depuis plusieurs jours, afin de nous rejoindre, mais il n’avait pu trouver notre premier bivouac, et il avait campé à quelques centaines de mètres de nous, sous un autre rocher, à une plus grande altitude. Le lendemain matin, il nous aperçut longeant une crête à une grande hauteur au-dessus de lui, et, comme il lui était impossible de nous rattraper, résigné à son sort, il nous suivit des yeux le cœur bien gros jusqu’à ce que nous eûmes, au tournant d’un contre-fort, disparu à sa vue.

La respiration pesante de nos camarades, déjà profondément endormis, troublait seule le calme solennel de la nuit. C’était un de ces silences qui impressionnent. « N’avez-vous rien entendu ? Écoutez ! quel est ce bruit sinistre qui gronde au-dessus de nous ? Me suis-je trompé ? Je l’entends encore, et cette