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Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/43

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CHAPITRE II.

fois plus distinctement ; il se rapproche de plus en plus… C’est un bloc de rocher détaché des hauteurs qui nous dominent. Quel fracas effroyable ! En un instant nous sommes tous debout. Il descend avec une furie terrible. Quelle force peut en arrêter la violence ? Il bondit, il saute, il se brise, il vole contre d’autres blocs, il rugit en descendant. Ah ! il nous a dépassés ! Non ! le voici de nouveau. Nous retenons notre haleine au moment où, lancé par une force irrésistible, avec des explosions semblables aux décharges d’une puissante artillerie, il tombe au-dessous de notre retraite comme un trait, suivi d’une longue traînée de débris. Enfin, nous respirons plus librement au bruit de sa chute finale sur le glacier[1].

Nous regagnons enfin notre abri, mais j’étais trop surexcité pour pouvoir dormir. À quatre heures un quart, chacun de nous reprenait son sac et nous nous remettions en route. Nous convînmes cette fois de nous tenir plus sur la droite, pour tenter d’atteindre le plateau sans perdre notre temps à traverser le glacier. Décrire notre route serait répéter ce que j’ai déjà dit. Nous montâmes rapidement pendant une heure et demie, marchant quelquefois, mais grimpant le plus souvent à l’aide des mains, et nous constatâmes à la fin qu’il était nécessaire de traverser le glacier. La partie sur laquelle nous y entrâmes offrait une pente très-raide et très-crevassée. Le mot de crevassé exprime mal son aspect : c’était une masse de formidables séracs. Nous éprouvâmes plus de difficultés à y pénétrer qu’à le traverser ; mais, grâce à la corde, nous gagnâmes l’autre bord sans accident. Au delà, les interminables contre-forts se succédèrent de nouveau. Nous continuâmes à monter pendant de longues heures, nous trompant souvent et nous voyant obligés de redescendre.

Cependant la chaîne de montagnes qui s’étendait derrière nous s’était abaissée depuis longtemps, et notre vue, passant par-dessus, allait se reposer jusque sur le majestueux Viso.

  1. Dans son ascension de 1848, M. Puiseux fut surpris au déjeuner par la chute d’un énorme rocher qui tomba comme une bombe tout près de lui, en lançant des débris dans toutes les directions.