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CHAPITRE II.

La nuit était magnifique, et, pendant que je m’établissais dans des lieux plus confortables, un brillant météore parcourut plus de soixante degrés d’un ciel sans nuage, laissant après lui une traînée de lumière qui dura plusieurs secondes. C’était le héraut qui annonçait un spectacle splendide. Des étoiles filantes tombèrent par centaines, et leur clarté n’étant obscurcie par aucune vapeur, elles brillèrent avec plus d’éclat que Sirius même dans notre humide climat.

Le lendemain matin, après avoir remonté la vallée pour examiner le Viso, je retournai à Abriès où j’engageai à mon service un paysan d’un hameau voisin, que mon ami le Marseillais avait envoyé chercher. Il ne pouvait se lasser de boire et de fumer, et ne quittait sa pipe que pour prendre un verre de vin ou d’eau-de-vie. Nous remontâmes ensemble la vallée et nous couchâmes dans la hutte d’un berger dont le gain annuel était presque aussi restreint que celui du pâtre que Longfellow met en scène dans Hypérion. Le lendemain matin, nous nous dirigeâmes tous trois vers le sommet du passage que j’avais traversé en 1860, mais la tentative que nous fîmes pour nous rapprocher de la montagne échoua complétement[1] : une brèche profonde aux versants à pic formait un obstacle infranchissable ; la pente de neige elle-même, qui existait l’année précédente sur le versant piémontais du passage, avait disparu, et il nous fut impossible de descendre sur les rochers situés au-dessous de nous.

Quinze jours plus tard, l’ascension du Viso fut accomplie pour la première fois par MM. Matthews et Jacomb, avec les deux Croz de Chamonix. Ils montèrent du côté du midi, et cette ascension, autrefois considérée comme absolument impossible,

  1. Il existe au nord, près du mont Viso, trois cols ou passages qui conduisent de la vallée du Pô dans celle du Guil. La brèche profonde dont il est question ci-dessus est la plus rapprochée de la montagne, et, bien qu’elle soit de beaucoup la plus basse dans cette partie de la chaîne, bien qu’elle semble être le véritable col Viso, elle ne parait pas utilisée. La seconde, que j’avais traversée en 1860, porte sur la carte sarde le nom de Col del Color del Porco ! La troisième est le col de la Traversette, et, quoiqu’elle soit la plus élevée des trois, c’est celle par laquelle les gens du pays passent d’une vallée dans l’autre.