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ESCALADES DANS LES ALPES.

de la neige ne nous effraient qu’un petit nombre de fissures ou d’aspérités auxquelles nous puissions nous cramponner. Cependant, à dix heures et demie, nous étions parvenus au col, et nos regards plongeaient au-dessous de nous sur le magnifique bassin d’où découle le glacier de Z’Mutt. Il fut aussitôt décidé que nous passerions la nuit sur le col, car ses avantages nous charmèrent, bien qu’il ne faille pas y prendre trop de libertés. D’un côté, une muraille de rochers à pic surplombait le glacier de Tiefenmatten ; de l’autre, des pentes de neige durcie, escarpées et polies, descendaient au glacier du Lion, sillonnées par de petits ruisseaux et par des avalanches de pierres, au nord, se dressait le grand pic du Cervin[1] ; au sud, nous étions dominés par les parois abruptes de la Tête du Lion. Si l’on jette une bouteille sur le glacier de Tiefenmatten, on n’entend le bruit de sa chute que dans une douzaine de secondes. Cependant aucun danger ne pouvait nous menacer de ce côté ni du côté opposé ; nous n’avions probablement rien à craindre non plus de la Tête du Lion, car plusieurs saillies de rochers protégeaient en la surplombant la place où nous nous proposions de nous installer pour la nuit. Nous nous reposâmes pendant quelque temps, nous réchauffant au soleil, surveillant et écoutant les Carrels que nous voyions ou que nous entendions par moments bien au-dessus de nous, sur l’arête qui conduit au sommet. À midi, nous redescendîmes au chalet pour y prendre la tente et d’autres objets, et, quoique lourdement chargés, nous étions avant six heures de retour au col. Cette tente avait été établie sur un mauvais modèle fourni par M. Francis Galton. Elle paraissait très-jolie à Londres quand elle était dressée, mais, dans les Alpes, elle n’était d’aucun usage. Fabriquée avec une toile légère, elle s’ouvrait comme un livre. Un des bouts ne devait jamais s’ouvrir, l’autre était fermé par des rideaux de toile ; deux bâtons ferrés (alpenstocks) la supportaient, et les deux côtés étaient assez longs pour pouvoir se retourner en dessous. Des

  1. La gravure est faite d’après une esquisse prise des rochers du Cervin, juste au-dessus du col.