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CHAPITRE IV.

bien supérieur sans comparaison à Jean-Jacques, était le plus beau grimpeur de rochers que j’ai jamais vu. Seul de tous les guides, il crut obstinément au succès définitif, et, malgré les échecs successifs qui semblaient lui donner tort, il persista à soutenir que le Cervin pouvait être escaladé, et qu’il le serait un jour du côté de sa vallée natale.

Le repos de la nuit ne fut troublé que par les puces, dont une troupe folâtre exécuta un fandango animé sur ma joue, au son de la musique qu’une de leurs virtuoses fit sur mon oreille avec quelques brins de foin. Les deux Carrels se glissèrent sans bruit hors du chalet avant l’aube. Quant à nous, nous ne partîmes guère qu’à sept heures, laissant notre petit bagage au chalet, et nous les suivîmes sans nous presser. Nous gravîmes lentement les pentes parsemées de gentiane qui s’étendent entre le chalet et le glacier du Lion ; nous eûmes bientôt dépassé les vaches et leurs pâturages ; puis nous traversâmes des éboulis de pierres pour arriver au glacier. Grâce à d’anciennes couches de neige durcie qui s’étendaient sur sa rive droite (à notre gauche), et sur lesquelles nous montâmes, nous en atteignîmes sans peine la partie inférieure. Mais, à mesure que nous nous élevions, le nombre des crevasses augmenta, et nous fûmes à la fin arrêtés par quelques crevasses trop larges pour être franchies à l’aide des moyens dont nous disposions. Nous cherchâmes donc une route plus facile, et nous inclinâmes naturellement vers les rochers inférieurs de la Tête du Lion dominant le glacier vers l’ouest. Donnant quelques bons coups de collier, nous nous élevâmes en peu de temps sur la crête de l’arête qui descend vers le sud. Un long escalier naturel, qui n’exigeait pas l’usage des mains, montait de là au col du Lion ; nous l’appelâmes le Grand escalier. Il nous fallut alors contourner les roches escarpées de la Tête du Lion, au-dessus du couloir. Ce passage change beaucoup suivant les années ; en 1861, il était très-difficile, car le temps avait été tellement beau pendant cette année que les masses de neige qui s’y entassent d’ordinaire étaient considérablement fondues, et les rochers restés à découvert au-dessus du niveau