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Page:Widmann - La Patricienne, trad P César, 1889.djvu/208

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la patricienne

temps dans la maison où j’ai souffert la plus profonde douleur de ma jeune vie. Ah ! fou, oui, fou que j’ai été ! Je croyais qu’un jour aussi le soleil luirait pour moi. Et il a suffi d’un rien, un vague soupçon, un caprice pour qu’on fasse saigner mon cœur, en jetant à un autre, à un indigne, et à pleines mains, tout ce que, dans l’intimité de moi-même, j’envisageais comme le suprême bonheur auquel j’aie jamais osé rêver. À présent, tout est fini. Ah ! je ne le comprends que trop, votre regard froid et votre refus méprisant, lorsque, à ce bal de l’hiver dernier, je vous invitai à danser ! Ils devaient alors me révéler mon propre sort. Oui, pourquoi ai-je été entraîné dans votre existence ? Pourquoi suis-je sorti de mon obscurité ? Qu’avait-il besoin, l’enfant du peuple, d’aller à cette lumière qui l’a brûlé. « Vous avez jeté vos richesses à un méchant, et moi, c’est en mendiant que je vous quitte. »

Puis, en lui criant ces derniers mots, il imprima un léger mouvement à la barque, sans regarder Dougaldine. Car lui aussi avait les yeux humides. De grosses larmes roulaient sur ses joues. Une souffrance inouïe l’affolait. Mécontent de cette faiblesse à laquelle il ne pouvait plus résister, il joua des rames avec une sorte de désespoir et s’éloigna du rivage.

Elle était là, elle, comme la personnification de la tristesse, de la douleur. Pourquoi ne le rappela-t-elle pas ? Ah ! si elle avait poussé un cri, un seul cri de poignante angoisse, de plainte violente, si elle lui avait dit :

— Reviens, cruel, reviens ! Crois que je t’aime ! Oui, c’est parce que je t’aime comme on n’a jamais