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ÂME BLANCHE

effeuillés sur la table du salon où nous sommes. Un tapis rouge recouvre cette table, et je le revois, mis un peu de travers, bordé d’une frange à grelots ; je revois la cheminée surmontée de sa glace, la pendule qui est au milieu, les deux candélabres qui en complètent la garniture ; je vois le cahier de musique, tombé du chevalet sur le clavier du piano, tandis qu’à la place laissée vide par le tabouret, reculé en hâte au moment où l’on s’apercevait de ma présence et de mon malaise, une étroite carpette montre des traces d’usure là où le talon frotte quand la bottine de l’exécutant s’appuie sur la pédale.

Si j’étais peintre, je pourrais mettre sur la toile ma mère telle qu’elle était alors, avec ses traits, l’expression de sa physionomie, son mouvement de sollicitude apeurée et l’interrogation de ses beaux yeux. Ses mains étaient particulières, avec les longs doigts nerveux des pianistes, et elle avait les ongles carrés… ; je pourrais dire quelles bagues elle portait, comment était sa coiffure, et que son col était un col droit, de crêpe blanc, uni.

Souvent, dans la suite, on s’est entretenu devant moi de cette étrange syncope, que Mme Veydt, probablement, avait racontée et dont on prenait texte pour certifier que je n’étais pas une enfant comme les autres et que la pauvre femme, avec son éducation artiste, m’avait donné une impressionnabilité ridicule,