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ÂME BLANCHE

— Line, je vous en prie, n’allez pas si vite !

Mais elle souriait, ravie de mon bel appétit et, l’œuf dévoré, je la vis sortir de sa poche une grappe de raisins, prise, sans doute à la Halle en même temps que les fleurs et qu’elle me fit manger en cachette, grain à grain, la grappe dissimulée sous son tablier par crainte des surprises car, bien que le docteur eût ordonnée les fruits comme utiles adjuvants de ma convalescence, ce dessert ne faisait point partie du menu de mon déjeuner et Véronique l’avait acheté de sa bourse, ainsi que les pervenches ornant ma chambre. Les friandises et les choses qui ne sont que jolies sans être indispensables, se trouvaient bannies du programme de mon éducation. Mlle Ruys le savait ; elle souffrait pour moi de cette dureté si cruelle à mon enfance délicate, au raffinement instinctif de toutes mes aspirations, et elle essayait de me sauver de ce que ce parti-pris avait de trop spartiate.

Instruite aujourd’hui du piètre gain de la pauvre fille à cette époque, du poids de ses charges, j’ai plus de gratitude encore pour cette généreuse pitié qu’elle me témoignait ; je m’explique aussi comment, l’hiver, le froid glacial de la lingerie sans feu la laissait indifférente et pourquoi elle s’arrangeait toujours de façon à être seule, loin des regards indiscrets, au moment des repas. Même, cette puérilité qu’elle avait de