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LE PORTRAIT

faire de sottes choses de temps à autre, mon cher Basil.

— Le mariage est une chose qu’on ne peut faire de temps à autre, Harry.

— Excepté en Amérique, riposta lord Henry rêveusement. Mais je n’ai pas dit qu’il était marié. J’ai dit qu’il allait se marier. Il y a là une grande différence. Je me souviens parfaitement d’avoir été marié, mais je ne me rappelle plus d’avoir été fiancé. Je crois plutôt que je n’ai jamais été fiancé.

— Mais, je vous en prie, pensez à la naissance de Dorian, à sa position, à sa fortune… Ce serait absurde de sa part d’épouser une personne pareillement au-dessous de lui.

— Si vous désirez qu’il épouse cette fille, Basil, vous n’avez qu’à lui dire ça. Du coup, il est sûr qu’il le fera. Chaque fois qu’un homme fait une chose manifestement stupide, il est certainement poussé à la faire pour les plus nobles motifs.

— J’espère pour lui, Harry, que c’est une bonne fille. Je n’aimerais pas voir Dorian lié à quelque vile créature, qui dégraderait sa nature et ruinerait son intelligence.

— Oh ! elle est mieux que bonne, elle est belle, murmura lord Henry, sirotant un verre de vermouth aux oranges amères. Dorian dit qu’elle est belle, et il ne se trompe pas sur ces choses. Son portrait par vous a singulièrement hâté son appréciation sur l’apparence physique des gens ; oui, il a eu, entre autres, cet excellent effet. Nous devons la voir ce soir, si notre ami ne manque pas au rendez-vous.

— Vous êtes sérieux ?

— Tout à fait, Basil. Je ne l’ai jamais été plus qu’en ce moment.