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DE DORIAN GRAY

— Mais approuvez-vous cela, Harry ? demanda le peintre, marchant de long en large dans la chambre, et mordant ses lèvres. Vous ne pouvez l’approuver ! Il y a là un paradoxe de votre part.

— Je n’approuve jamais quoi que ce soit, et ne désapprouve davantage. C’est prendre dans la vie une attitude absurde. Nous ne sommes pas mis au monde pour combattre nos préjugés moraux. Je ne fais pas attention à ce que disent les gens vulgaires, et je n’interviens jamais dans ce que peuvent faire les gens charmants. Si une personnalité m’attire, quel que soit le mode d’expression que cette personnalité puisse choisir, je le trouve tout à fait charmant. Dorian Gray tombe amoureux d’une belle fille qui joue Juliette et se propose de l’épouser. Pourquoi pas ?… Croyez-vous que s’il épousait Messaline, il en serait moins intéressant ? Vous savez que je ne suis pas un champion du mariage. Le seul mécompte du mariage est qu’il fait celui qui le consomme un altruiste ; et les altruistes sont sans couleur ; ils manquent d’individualité. Cependant, il est certains tempéraments que le mariage rend plus complexes. Ils gardent leur égoïsme et y ajoutent encore. Ils sont forcés d’avoir plus qu’une seule vie. Ils deviennent plus hautement organisés, et être plus hautement organisé, je m’imagine, est l’objet de l’existence de l’homme. En plus, aucune expérience n’est à mépriser, et quoi que l’on puisse dire contre le mariage, ce n’est point une expérience dédaignable. J’espère que Dorian Gray fera de cette jeune fille sa femme, l’adorera passionnément pendant six mois, et se laissera ensuite séduire par quelque autre. Cela nous va être une merveilleuse étude.

— Vous savez bien que vous ne pensez pas un mot