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DE DORIAN GRAY

Sous le portique aux piliers grisâtres, musait une troupe de filles têtes nues attendant la fin des enchères… D’autres, s’ébattaient aux alentours des portes sans cesse ouvertes des bars de la Piazza. Les énormes chevaux de camions glissaient ou frappaient du pied sur les pavés raboteux, faisant sonner leurs cloches et leurs harnais… Quelques conducteurs gisaient endormis sur des piles de sacs. Des pigeons, aux cous irisés, aux pattes rosés, voltigeaient, picorant des graines…

Au bout de quelques instants, il héla un hansom et se fit conduire chez lui… Un moment, il s’attarda sur le seuil, regardant devant lui le square silencieux, les fenêtres fermées, les persiennes claires… Le ciel s’opalisait maintenant, et les toits des maisons luisaient comme de l’argent… D’une cheminée en face, un fin filet de fumée s’élevait ; il ondula, comme un ruban violet à travers l’atmosphère couleur de nacre…

Dans la grosse lanterne dorée vénitienne, dépouille de quelque gondole dogale, qui pendait au plafond du grand hall d’entrée aux panneaux de chêne, trois jets vacillants de lumière brillaient encore ; ils semblaient de minces pétales de flamme, bleus et blancs. Il les éteignit, et après avoir jeté son chapeau et son manteau sur une table, traversant la bibliothèque, il poussa la porte de sa chambre à coucher, une grande pièce octogone située au rez-de-chaussée que, dans son goût naissant de luxe, il avait fait décorer et garnir de curieuses tapisseries Renaissance qu’il avait découvertes dans une mansarde délabrée de Selby Royal où elles s’étaient conservées.

Comme il tournait la poignée de la porte, ses yeux tombèrent sur son portrait peint par Basil Hallward ; il tressaillit d’étonnement !… Il entra dans sa chambre, va-