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LE PORTRAIT

guement surpris… Après avoir défait le premier bouton de sa redingote, il parut hésiter ; finalement il revint sur ses pas, s’arrêta devant le portrait et l’examina… Dans le peu de lumière traversant les rideaux de soie crème, la face lui parut un peu changée… L’expression semblait différente. On eût dit qu’il y avait comme une touche de cruauté dans la bouche… C’était vraiment étrange !…

Il se tourna, et, marchant vers la fenêtre, tira les rideaux… Une brillante clarté emplit la chambre et balaya les ombres fantastiques des coins obscurs où elles flottaient. L’étrange expression qu’il avait surprise dans la face y demeurait, plus perceptible encore… La palpitante lumière montrait des lignes de cruauté autour de la bouche comme si lui-même, après avoir fait quelque horrible chose, les surprenait sur sa face dans un miroir.

Il recula, et prenant sur la table une glace ovale entourée de petits amours d’ivoire, un des nombreux présents de lord Henry, se hâta de se regarder dans ses profondeurs polies… Nulle ligne comme celle-là ne tourmentait l’écarlate de ses lèvres… Qu’est-ce que cela voulait dire ?

Il frotta ses yeux, s’approcha plus encore du tableau et l’examina de nouveau… Personne n’y avait touché, certes, et cependant, il était hors de doute que quelque chose y avait été changé… Il ne rêvait pas ! La chose était horriblement apparente…

Il se jeta dans un fauteuil et rappela ses esprits… Soudainement, lui revint ce qu’il avait dit dans l’atelier de Basil le jour même où le portrait avait été terminé. Oui, il s’en souvenait parfaitement. Il avait énoncé le désir fou de rester jeune alors que vieillirait ce ta-