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DE DORIAN GRAY

enterré mon roman dans un lit d’asphodèles ; elle prétendait l’exhumer et m’assurait que je n’avais pas gâté sa vie. Je suis autorisé à croire qu’elle mangea énormément ; aussi ne ressentis-je aucune anxiété… Mais quel manque de goût elle montra !

« Le seul charme du passé est que c’est le passé, et les femmes ne savent jamais quand la toile est tombée ; elles réclament toujours un sixième acte, et proposent de continuer le spectacle quand l’intérêt s’en est allé… Si on leur permettait d’en faire à leur gré, toute comédie aurait une fin tragique, et toute tragédie finirait en farce. Elles sont délicieusement artificielles, mais elles n’ont aucun sens de l’art.

« Vous êtes plus heureux que moi. Je vous assure Dorian, qu’aucune des femmes que j’ai connues n’aurait fait pour moi ce que Sibyl Vane a fait pour vous. Les femmes ordinaires se consolent toujours, quelques-unes en portant des couleurs sentimentales. Ne placez jamais votre confiance en une femme qui porte du mauve, quelque soit son âge, ou dans une femme de trente-cinq ans affectionnant les rubans roses ; cela veut toujours dire qu’elles ont eu des histoires. D’autres trouvent une grande consolation à la découverte inopinée des bonnes qualités de leurs maris. Elles font parade de leur félicité conjugale, comme si c’était le plus fascinant des péchés. La religion en console d’autres encore. Ses mystères ont tout le charme d’un flirt, me dit un jour une femme, et je puis le comprendre. En plus, rien ne vous fait si vain que de vous dire que vous êtes un pécheur. La conscience fait de nous des égoïstes… Oui, il n’y a réellement pas de fin aux consolations que les femmes trouvent dans la vie moderne, et je n’ai point encore mentionné la plus importante.