Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/17

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y avait beaucoup trop de vous-même dans ce portrait. Cela est enfantin…

— Harry, dit Basil Hallward, le regardant droit dans les yeux, tout portrait peint compréhensivement est un portrait de l’artiste, non du modèle. Le modèle est purement l’accident, l’occasion. Ce n’est pas lui qui est révélé par le peintre ; c’est plutôt le peintre qui, sur la toile colorée, se révèle lui-même. La raison pour laquelle je n’exhiberai pas ce portrait consiste dans la terreur que j’ai de montrer par lui le secret de mon âme !

Lord Henry se mit à rire…

— Et quel est-il ?

— Je vous le dirai, répondit Hallward, la figure assombrie.

— Je suis tout oreilles, Basil, continua son compagnon.

— Oh ! c’est vraiment peu de chose, Harry, repartit le peintre, et je crois bien que vous ne le comprendrez point. Peut-être à peine le croirez-vous…

Lord Henry sourit ; se baissant, il cueillit dans le gazon une marguerite aux pétales rosés et l’examinant :

— Je suis tout à fait sûr que je comprendrai cela, dit-il, en regardant attentivement le petit disque doré, aux pétales blancs, et quant à croire aux choses, je les crois toutes, pourvu qu’elles soient incroyables.

Le vent détacha quelques fleurs des arbustes et les lourdes grappes de lilas se balancèrent dans l’air languide. Une cigale stridula près du mur, et, comme un fil bleu, passa une longue et mince libellule dont on entendit frémir les brunes ailes de gaze. Lord Henry restait silencieux comme s’il avait voulu percevoir les battements du cœur de Basil Hallward, se demandant ce qui allait se passer.