Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/19

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— Je ne crois pas cela, Harry, et je pense que vous ne le croyez pas non plus. Cependant, quel qu’en fut alors le motif — c’était peut-être l’orgueil, car je suis très orgueilleux — je me précipitai vers la porte. Là, naturellement, je me heurtai contre lady Brandon. « Vous n’avez pas l’intention de partir si vite, M. Hallward » s’écria-t-elle… Vous connaissez le timbre aigu de sa voix ?…

— Oui, elle me fait l’effet d’être un paon en toutes choses, excepté en beauté, dit lord Henry, effeuillant la marguerite de ses longs doigts nerveux…

— Je ne pus me débarrasser d’elle. Elle me présenta à des Altesses, et à des personnes portant Étoiles et Jarretières, à des dames mûres, affublées de tiares gigantesques et de nez de perroquets… Elle parla de moi comme de son meilleur ami. Je l’avais seulement rencontrée une fois auparavant, mais elle s’était mis en tête de me lancer. Je crois que l’un de mes tableaux avait alors un grand succès et qu’on en parlait dans les journaux de deux sous qui sont, comme vous le savez, les étendards d’immortalité du dix-neuvième siècle. Soudain, je me trouvai face à face avec le jeune homme dont la personnalité m’avait si singulièrement intrigué ; nous nous touchions presque ; de nouveau nos regards se rencontrèrent. Ce fut indépendant de ma volonté, mais je demandai à Lady Brandon de nous présenter l’un à l’autre. Peut-être après tout, n’était-ce pas si téméraire, mais simplement inévitable. Il est certain que nous nous serions parlé sans présentation préalable ; j’en suis sûr pour ma part, et Dorian plus tard me dit la même chose ; il avait senti, lui aussi, que nous étions destinés à nous connaître.

— Et comment lady Brandon vous parla-t-elle de ce