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Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/212

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LE PORTRAIT

sion pour le sang, comme d’autres en ont pour le vin, — Ezzelin, fils du démon, fut-il dit, qui trompa son père aux dés, alors qu’il lui jouait son âme !…

Et Giambattista Ciho, qui prit par moquerie le nom d’Innocent, dans les torpides veines duquel fut infusé, par un docteur juif, le sang de trois adolescents ; Sigismondo Malatesta, l’amant d’Isotta, et le seigneur de Rimini, dont l’effigie fut brûlée à Rome, comme ennemi de Dieu et des hommes, qui étrangla Polyssena avec une serviette, fit boire du poison à Ginevra d’Este dans une coupe d’émeraude, et bâtit une église païenne pour l’adoration du Christ, en l’honneur d’une passion honteuse !…

Et ce Charles VI, qui aima si sauvagement la femme de son frère qu’un lépreux avertit du crime qu’il allait commettre, ce Charles VI dont la passion démentielle ne put seulement être guérie que par des cartes sarrazines où étaient peintes les images de l’Amour, de la Mort et de la Folie !

Et s’évoquait encore, dans son pourpoint orné, coiffé de son chapeau garni de joyaux, ses cheveux bouclés comme des acanthes, Griffonetto Baglione, qui tua Astorre et sa fiancée, Simonetto et son page, mais dont la grâce était telle, que, lorsqu’on le trouva mourant sur la place jaune de Pérouse, ceux qui le haïssaient ne purent que pleurer, et qu’Atalanta qui l’avait maudit, le bénit !…

Une horrible fascination s’émanait d’eux tous ! Il les vit la nuit, et le jour ils troublèrent son imagination. La Renaissance connut d’étranges façons d’empoisonner : par un casque ou une torche allumée, par un gant brodé ou un éventail endiamanté, par une boule de senteur dorée, ou par une chaîne d’ambre…