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DE DORIAN GRAY

mit à trembler de tout son corps. Le tic-tac de l’horloge sur la cheminée lui parut diviser le temps en atomes successifs d’agonie, dont chacun était trop lourd pour être porté. Il lui sembla qu’un cercle de fer enserrait lentement son front, et que la honte dont il était menacé l’avait atteint déjà. La main posée sur son épaule lui pesait comme une main de plomb, intolérablement. Elle semblait le broyer.

— Eh bien !… Alan ! il faut vous décider.

— Je ne peux pas, dit-il machinalement, comme si ces mots avaient pu changer la situation…

— Il le faut. Vous n’avez pas le choix… N’attendez plus.

Il hésita un instant.

— Y a-t-il du feu dans cette chambre haute ?

— Oui, il y a un appareil au gaz avec de l’amiante.

— Il faut que j’aille chez moi prendre des instruments au laboratoire.

— Non, Alan, vous ne sortirez pas d’ici. Écrivez ce qu’il vous faut sur une feuille de papier et mon domestique prendra un cab, et ira vous le chercher.

Campbell griffonna quelques lignes, y passa le buvard et écrivit sur une enveloppe l’adresse de son aide. Dorian prit le billet et le lut attentivement ; puis il sonna et le donna à son domestique avec l’ordre de revenir aussitôt que possible et de rapporter les objets demandés.

Quand la porte de la rue se fut refermée, Campbell se leva nerveusement et s’approcha de la cheminée. Il semblait grelotter d’une sorte de fièvre. Pendant près de vingt minutes aucun des deux hommes ne parla. Une mouche bourdonnait bruyamment dans la pièce et le tic-tac de l’horloge résonnait comme des coups de marteau…