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DE DORIAN GRAY

un corps dans le soleil. Il se retourna, terrifié… Il lui semblait que le malheur le suivait où il allait… Il entendit sir Geoffrey demander si l’homme était réellement mort, et l’affirmative réponse du garde. Le bois lui parut soudain hanté de figures vivantes ; il y entendait comme le bruit d’une myriade de pieds et un sourd bourdonnement de voix… Un grand faisan à gorge dorée s’envola dans les branches au-dessus d’eux.

Après quelques instants qui lui parurent, dans son état de trouble, comme des heures sans fin de douleur, il sentit qu’une main se posait sur son épaule ; il tressaillit et regarda autour de lui…

— Dorian, dit lord Henry, je ferai mieux d’annoncer que la chasse est close pour aujourd’hui. Ce ne serait pas bien de la continuer.

— Je voudrais qu’elle fût close à jamais, Harry, répondit-il amèrement. Cette chose est odieuse et cruelle. Est-ce que cet homme est…

Il ne put achever…

— Je le crains, répliqua lord Henry. Il a reçu la charge entière dans la poitrine. Il doit être mort sur le coup. Allons, venez à la maison…

Ils marchèrent côte à côte dans la direction de l’avenue pendant près de cinquante yards sans se parler… Enfin Dorian se tourna vers lord Henry et lui dit avec un soupir profond :

— C’est un mauvais présage, Harry, un bien mauvais présage !

— Quoi donc ? interrogea lord Henry… Ah ! cet accident, je crois. Mon cher ami, je n’y puis rien… C’est la faute de cet homme… Pourquoi se mettait-il devant les fusils ? Ça ne nous regarde pas… C’est naturellement malheureux pour Geoffrey. Ce n’est pas bon de tirer les