Page:Wilde - Le portrait de Dorian Gray, 1895.djvu/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
DE DORIAN GRAY

— Que c’est mal à vous de parler ainsi, cria la duchesse. N’est-ce pas, M. Gray ?… Harry !… M. Gray est encore indisposé !… Il va se trouver mal !…

Dorian se redressa avec un effort et sourit.

— Ce n’est rien, duchesse, murmura-t-il, mes nerfs sont surexcités ; c’est tout… Je crains de ne pouvoir aller loin ce matin. Je n’ai pas entendu ce qu’Harry disait… Était-ce mal ? Vous me le direz une autre fois. Je pense qu’il vaut mieux que j’aille me coucher. Vous m’en excuserez, n’est-ce pas ?…

Ils avaient atteint les marches de l’escalier menant de la serre à la terrasse. Comme la porte vitrée se fermait derrière Dorian, lord Henry tourna vers la duchesse ses yeux fatigués.

— L’aimez-vous beaucoup, demanda-t-il.

Elle ne fit pas une immédiate réponse, considérant le paysage…

— Je voudrais bien le savoir… dit-elle enfin.

Il secoua la tête :

— La connaissance en serait fatale. C’est l’incertitude qui vous charme. La brume fait plus merveilleuses les choses.

— On peut perdre son chemin.

— Tous les chemins mènent au même point, ma chère Gladys.

— Quel est-il ?

— La désillusion.

— C’est mon début dans la vie, soupira-t-elle.

— Il vous vint couronné…

— Je suis fatigué des feuilles de fraisier.[1]

  1. La feuille de fraisier est l’ornement héraldique, en Angleterre, des couronnes ducales (N. D. T.)