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DE DORIAN GRAY

dire ces choses abominables. Le cœur d’Hetty n’est pas brisé ; elle pleura, cela s’entend, et ce fut tout. Mais elle n’est point déshonorée ; elle peut vivre, comme Perdita, dans son jardin où poussent la menthe et le souci.

— Et pleurer sur un Florizel sans foi, ajouta lord Henry en riant et se renversant sur le dossier de sa chaise. Mon cher Dorian, vos manières sont curieusement enfantines… Pensez-vous que désormais, cette jeune fille se contentera de quelqu’un de son rang… Je suppose qu’elle se mariera quelque jour à un rude charretier ou à un paysan grossier ; le fait de vous avoir rencontré, de vous avoir aimé, lui fera détester son mari, et elle sera malheureuse. Au point de vue moral, je ne puis dire que j’augure bien de votre grand renoncement… Pour un début, c’est pauvre… En outre savez-vous si le corps d’Hetty ne flotte pas à présent dans quelque étang de moulin, éclairé par les étoiles, entouré par des nénuphars, comme Ophélie ?…

— Je ne veux penser à cela, Harry ? Vous vous moquez de tout, et, de cette façon, vous suggérez les tragédies les plus sérieuses… Je suis désolé de vous en avertir, mais je ne fais plus attention à ce que vous me dites. Je sais que j’ai bien fait d’agir ainsi. Pauvre Hetty : Comme je me rendais à cheval à la ferme, ce matin, j’aperçus sa figure blanche à la fenêtre, comme un bouquet de jasmin. Ne parlons plus de cela, et n’essayez pas de me persuader que la première bonne action que j’aie faite depuis des années, le premier petit sacrifice de moi-même que je me connaisse, soit une sorte de péché. J’ai besoin d’être meilleur. Je deviens meilleur… Parlez-moi de vous. Que dit-on à la ville ? Je n’ai pas été au club depuis plusieurs jours.

— On parle encore de la disparition de ce pauvre Basil.