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DE DORIAN GRAY

Dorian poussa un soupir, et lord Henry traversant la chambre, alla chatouiller la tête d’un curieux perroquet de Java, un gros oiseau au plumage gris, à la crête et à la queue vertes, qui se balançait sur un bambou. Comme ses doigts effilés le touchaient, il fit se mouvoir la dartre blanche de ses paupières clignotantes sur ses prunelles semblables à du verre noir et commença à se dandiner en avant et en arrière.

— Oui, continua lord Henry se tournant et sortant son mouchoir de sa poche, sa peinture s’en allait tout à fait. Il me semblait avoir perdu quelque chose. Il avait perdu un idéal. Quand vous et lui cessèrent d’être grands amis, il cessa d’être un grand artiste. Qu’est-ce qui vous sépara ?… Je crois qu’il vous ennuyait. Si cela fût, il ne vous oublia jamais. C’est une habitude qu’ont tous les fâcheux. À propos qu’est donc devenu cet admirable portrait qu’il avait peint d’après vous ? Je crois ne point l’avoir revu depuis qu’il y mit la dernière main. Ah ! oui, je me souviens que vous m’avez dit, il y a des années, l’avoir envoyé à Selby et qu’il fut égaré ou volé en route. Vous ne l’avez jamais retrouvé ?… Quel malheur ! C’était vraiment un chef-d’œuvre ! Je me souviens que je voulais l’acheter. Je voudrais l’avoir acheté maintenant. Il appartenait à la meilleure époque de Basil. Depuis lors, ses œuvres montrèrent ce curieux mélange de mauvaise peinture et de bonnes intentions qui fait qu’un homme mérite d’être appelé un représentant de l’art anglais. Avez-vous mis des annonces pour le retrouver ? Vous auriez dû en mettre.

— Je ne me souviens plus, dit Dorian. Je crois que oui. Mais je ne l’ai jamais aimé. Je regrette d’avoir posé pour ce portrait. Le souvenir de tout cela m’est odieux.