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DE DORIAN GRAY

Dorian sourit en secouant la tête.

— Je crains de n’être pas de cet avis, lady Henry, je ne parle jamais pendant la musique, du moins pendant la bonne musique. Si l’on en entend de mauvaise, c’est un devoir de la couvrir par le bruit d’une conversation.

— Ah ! voilà une idée d’Harry, n’est-ce pas, M. Gray. J’apprends toujours ses opinions par ses amis, c’est même le seul moyen que j’aie de les connaître. Mais ne croyez pas que je n’aime pas la bonne musique. Je l’adore ; mais elle me fait peur. Elle me rend par trop romanesque. J’ai un culte pour les pianistes simplement. J’en adorais deux à la fois, ainsi que me le disait Harry. Je ne sais ce qu’ils étaient. Peut-être des étrangers. Ils le sont tous, et même ceux qui sont nés en Angleterre le deviennent bientôt, n’est-il pas vrai ? C’est très habile de leur part et c’est un hommage rendu à l’art de le rendre cosmopolite. Mais vous n’êtes jamais venu à mes réunions, M. Gray. Il faudra venir. Je ne puis point offrir d’orchidées, mais je n’épargne aucune dépense pour avoir des étrangers. Ils vous font une chambrée si pittoresque… Voici Harry ! Harry, je venais pour vous demander quelque chose, je ne sais plus quoi, et j’ai trouvé ici M. Gray. Nous avons ou une amusante conversation sur la musique. Nous avons tout à fait les mêmes idées. Non ! je crois nos idées tout à fait différentes, mais il a été vraiment aimable. Je suis très heureux de l’avoir vu.

— Je suis ravi, ma chérie, tout à fait ravi, dit lord Henry élevant ses sourcils noirs et arqués et les regardant tous deux avec un sourire amusé. Je suis vraiment fâché d’être si en retard, Dorian ; j’ai été à Wardour Street chercher un morceau de vieux brocard et j’ai dû mar-