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LE PORTRAIT

chander des heures ; aujourd’hui, chacun sait le prix de toutes choses, et nul ne connaît la valeur de quoi que ce soit.

— Je vais être obligé de partir, s’exclama lady Henry, rompant le silence d’un intempestif éclat de rire. J’ai promis à la Duchesse de l’accompagner en voiture. Au revoir, M. Gray, au revoir Harry. Vous dînez dehors, je suppose ? Moi aussi. Peut-être vous retrouverai-je chez Lady Thornbury.

— Je le crois, ma chère amie, dit lord Henry en fermant la porte derrière elle.

Semblable à un oiseau de paradis qui aurait passé la nuit dehors sous la pluie, elle s’envola, laissant une subtile odeur de frangipane. Alors, il alluma une cigarette et se jeta sur le canapé.

— N’épousez jamais une femme aux cheveux paille, Dorian, dit-il après quelques bouffées.

— Pourquoi, Harry ?

— Parce qu’elles sont trop sentimentales.

— Mais j’aime les personnes sentimentales.

— Ne vous mariez jamais, Dorian. Les hommes se marient par fatigue, les femmes par curiosité : tous sont désappointés.

— Je ne crois pas que je sois en train de me marier, Harry. Je suis trop amoureux. Voilà un de vos aphorismes, je le mets en pratique, comme tout ce que vous dites.

— De qui êtes-vous amoureux ? demanda lord Henry après une pause.

— D’une actrice, dit Dorian Gray rougissant.

Lord Henry leva les épaules :

— C’est un début plutôt commun.

— Vous ne diriez pas cela si vous l’aviez vue, Harry.