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L’ÎLE AU MASSACRE

vait partir et surtout qu’il n’hésiterait pas s’il y avait du danger. Elle se résigna donc à lui dire seulement :

— Ainsi, vous allez me quitter ?

— Rien de certain encore, ma bien-aimée.

— Ne m’avez-vous pas dit que depuis la mort de votre cousin vous étiez désigné pour les missions difficiles.

— Justement. Celle-là n’a rien de difficile. Nous voyageons dans un pays connu. En dehors des accidents naturels, nous n’avons rien à craindre.

— J’ai beau faire, mon ami, un vilain pressentiment m’oppresse. Je redoute tout de cette expédition que vous venez de m’annoncer, spécialement si vous devez en faire partie.

— Ma chère Pâle-Aurore, ta crainte t’est dictée par ton amour. N’ai-je pas été plus en danger au fort Maurepas ?

Elle revoyait dans sa pensée le visage de Cerf-Agile et elle eut peur.

— Le danger est tout autre…

— Voyons, raisonne un peu, tu te crées des chimères à plaisir.

— Non, non… Laissez-moi vous accompagner.

— Tu sais bien que cela est impossible.

— Pourquoi impossible ? Il faut bien quelqu’un pour préparer vos repas, fit-elle naïvement.

— Non, non. Ceci est une expédition pour hommes seuls.

— Mais…

— Inutile d’insister, ma chérie. C’est impossible. D’ailleurs nous ne serons pas longtemps, car forcément les canots que nous attendons sont tout proches. Je ne serais pas étonné de les voir apparaître avant de nous être beaucoup avancés sur le lac. Et puis, quand nous aurions à nous éloigner un peu ?…

Pâle-Aurore souffrait de voir ainsi son ami s’exposer par avance au danger dont elle avait l’intuition. Elle était loin de soupçonner l’aventure survenue à Bourassa et cependant elle jeta :

— Les Sioux, paraît-il, rôdent aux environs.

— Et quand cela serait ? Ne sont-ils pas nos amis ?

— On ne sait jamais à quoi s’en tenir avec eux. Aujourd’hui, ils semblent vos amis dévoués et demain ils vous font massacrer sans pitié.

— Tu exagères…

— Non, je les connais trop. Notre instinct nous trompe rarement. Et le mien en ce moment, Jean-Baptiste, mon bien-aimé, me dit que vous courez un grand danger.

— Mais tu sais bien que nous sommes toujours bien armés et au cas où nous serions attaqués nous saurions nous défendre.

— Les Sioux sont rusés. Ils peuvent vous surprendre en traîtres.

Rose-des-Bois écoutait toujours impassible. Dans son for intérieur cette conversation la remplissait d’allégresse. Cet avertissement de Pâle-Aurore au sujet d’un parti de Sioux qui rôdait autour du fort était-il vrai ou inventé ? Elle ne savait que penser. Son instinct mêlé d’amour et de haine l’avertit que sa sœur ne se trompait pas. Subitement un projet infernal germa dans son cerveau. Sans bruit, elle recula puis disparut pour rejoindre Cerf-Agile dans sa tente.

Inconscients de l’espionnage dont ils avaient été l’objet, ils continuaient à parler, l’une émettant des craintes que l’autre repoussait.

Lasse de voir que ces avertissements ne servaient à rien, elle lui dit sa rencontre avec Cerf-Agile et elle ajouta :

— Il y a quelque chose de changé en lui.

— Cela serait sérieux alors ?

— Très grave du fait qu’il retourne à la religion de nos pères.

— Il est impossible que son attitude se soit changée si brusquement. Hier encore…

— Hélas, lui seul n’a pas changé, Rose-des-Bois, depuis votre retour…

— Oui, je sais.

— Que savez-vous ?

— Ce matin elle m’a déclaré son amour.

— Oh !

— Que j’ai repoussé…

— Serait-ce sa vengeance ? fit-elle pensive.

Jean-Baptiste réfléchissait. Cette coïncidence des deux déclarations d’amour aurait-elle été voulue ? Il ne savait que conjecturer.

— C’est bien, j’en parlerai demain à mon père.

— Et vous ne partirez pas ?

Il la baisa au front puis il dit d’un ton joyeux :