Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/345

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de désespoir, en m’apercevant que j’avais rêvé ; et, chose étrange, je trouvai que je n’étais pas tellement désespéré.

Ou était-ce bien un rêve ? Si c’en était un, pourquoi avais-je eu si constamment conscience de ne voir toute cette nouvelle vie que du dehors, encore pris dans les préjugés, les angoisses, les dégoûts de mon époque de doute et de lutte ?

Tout le temps, si vivants que fussent pour moi ces amis, j’avais eu le sentiment que je n’avais rien à faire parmi eux : comme si le temps dût venir où ils me rejetteraient et me diraient, comme semblait le dire le dernier regard navré d’Ellen : « Non, cela ne va pas ; vous ne pouvez être des nôtres ; vous appartenez si complètement au malheur du passé, que notre bonheur même vous pèserait. Retournez, maintenant que vous nous avez vus, et que par vos yeux vous avez appris que, malgré toutes les maximes infaillibles de votre époque, il reste encore des jours de repos pour le monde, quand l’autorité se sera changée en camaraderie, — pas avant. Retournez donc, et tant que vous vivrez, vous verrez tout autour de vous des gens occupés à faire vivre aux autres des vies qui ne leur appartiennent pas, tandis qu’eux-mêmes ne se soucient en rien de leur vraie vie, des hommes qui haïssent la vie tout en craignant la mort. Retournez, et soyez d’autant plus heureux que vous nous avez vus, que vous avez ajouté un peu d’espérance à votre lutte. Continuez à vivre, tant que vous pourrez,